Sur l’air vicié de nos sociétés

« On nous dit que l’air du monde est irrespirable. J’en conviens. Mais les premiers chrétiens trouvaient chaque matin à leur porte une atmosphère saturée de vices, d’idoles, et d’encens offert aux divinités. Ils ont été pendant plus de deux cents ans relégués, calomniés et marginalisés par le courant du fleuve social qui les emportait et les rejetait tout ensemble. Est-ce que l’on songe que la grâce de leur baptême les tenait à l’écart de la vie urbaine presque dans sa totalité ? Ils renonçaient à prendre part aux grandes prestations civiques, comme l’entrée en fonction d’un magistrat, ou le triomphe d’un général vainqueur, parce qu’aucune de ces cérémonies ne pouvait s’inaugurer sans un sacrifice d’encens offert à l’empereur, personnage divin. La grâce de leur baptême les tenait à l’écart des thermes, lieu de rencontre matinal fort prisé des Romains, à cause de la nudité des corps et de l’impudeur des attitudes. Ils renonçaient également aux spectacles du cirque à cause des scènes de cruauté qui en faisaient la matière principale. Mais ces premiers chrétiens ont formé une société, et cette société par la force de l’esprit a fait sauter la carapace du paganisme antique. Leur espérance terrestre se bornait à désirer ne pas mourir avant de voir le Christ revenir sur les nuées, et ils ont été les fondateurs de l’Europe chrétienne. »

Dom Gérard, in Demain la chrétienté

Discours de Donoso Cortès (1850)

« Les armées régulières sont aujourd’hui la seule chose qui empêche la civilisation de se perdre dans la barbarie. Aujourd’hui s’offre à nos yeux un spectacle nouveau dans l’histoire, nouveau dans le monde : quand, Messieurs, le monde a-t-il vu, sauf de nos jours, que l’on va vers la civilisation par les armes et vers la barbarie par les idées ? Eh bien, le monde est en train de le voir au moment où je parle. Ce phénomène, Messieurs, est si grave, si étrange, qu’il exige quelques explications de ma part. Toute civilisation véritable vient du christianisme. Cela est si vrai que la civilisation tout entière s’est concentrée dans la zone chrétienne. Hors de cette zone il n’y a pas de civilisation, tout est barbarie. Et cela est si vrai qu’avant le christianisme, il n’y a pas eu de peuples civilisés parce que le peuple romain et le peuple grec n’ont pas été des peuples civilisés. Ils ont été des peuples cultivés, ce qui est très différent.
« Le christianisme a civilisé le monde en faisant ces trois choses : il a civilisé le monde en faisant de l’autorité une chose inviolable, de l’obéissance une chose sainte, de l’abnégation et du sacrifice, ou mieux de la charité une chose divine. De cette manière le christianisme a civilisé les nations. Eh bien (et voici la solution d’un grand problème), les idées d’inviolabilité de l’autorité, de la sainteté de l’obéissance et de la divinité du sacrifice, ces idées-là n’existent plus dans la société civile : elles sont dans les églises où on adore le Dieu juste et miséricordieux, et dans les camps où on adore le Dieu fort, le Dieu des batailles sous les symboles de la gloire. Et parce que l’Eglise et l’armée sont les seules qui aient conservé les notions d’inviolabilité de l’autorité, de sainteté de l’obéissance et de divinité de la charité, elles sont aussi les deux représentants de la civilisation européenne.
« Je ne sais pas, Messieurs, si votre attention aura été attirée comme la mienne par la ressemblance, la quasi-identité entre les deux personnes qui semblent être les plus distinctes, les plus opposées, la ressemblance entre le prêtre et le soldat. Ni l’un ni l’autre ne vivent pour soi, ni l’un ni l’autre ne vivent pour leur famille. Pour l’un et pour l’autre c’est dans le sacrifice et dans l’abnégation que se trouve leur gloire. La charge du soldat est de veiller à l’indépendance de la société civile. La charge du prêtre est de veiller à l’indépendance de la société religieuse. Le devoir du prêtre est de mourir, de donner sa vie comme le bon pasteur pour ses brebis. Le devoir du soldat, comme un bon frère, est de donner sa vie sacerdotale, le sacerdoce vous apparaîtra, et il l’est en effet, comme une véritable milice. Si vous considérez la sainteté du métier militaire, l’armée vous paraîtra un véritable sacerdoce. Qu’en serait-il du monde, qu’en serait-il de la civilisation, qu’en serait-il de l’Europe s’il n’y avait pas de prêtres ni de soldats ? »

L’abandon de Benoît XVI

Océan

“Eli, Eli lama sabachtani ?” 1 Lorsque Benoît XVI signifie, en quelques mots simples, qu’il renonce à la fonction de pape, c’est un tremblement de terre qui secoue le monde et qui frappe les catholiques. Les bruits les plus farfelus courent et chacun de s’interroger sur les causes de cette décision qui, même si elle n’est pas unique, provoque la stupeur. Personnellement deux sentiments m’habitent : l’abandon et la tristesse, son poisson-pilote, pour ne pas dire la désolation. L’abandon ressemble à un écho qui ne cesse de se reproduire et de s’amplifier, comme une plainte entêtante.

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La mort de l’intimité

arbre malade

Partout, sur Internet, dans les journaux ou à la télévision, l’expérience personnelle s’affiche, s’exhibe et se veut référence. Cette indécence repose sur une inversion des valeurs. Elle se fonde surtout et partout sur l’idée du même. L’idée du même pense : “J’ai vécu cela, mon expérience reflète un sentiment universel. Je veux dire ce que j’ai vécu. Je me pose en témoin incontournable”. C’est confondre l’universel et le général. Ce qui est oublié, incompris, c’est la différence qui réside entre chaque homme ; et chaque homme est singulier. Non pas singulier par ses orientations sexuelles ou par ses manies, mais intrinsèquement. Voilà bien un vieux concept neuf au début du XXIe siècle. Par son expérience, par sa culture et par sa nature, chaque homme montre une facette de l’Homme, et chaque facette est singulière. Créer à l’image de Dieu. Or il nous est impossible, sinon en regardant les hommes et en les considérant comme tous singuliers, d’embrasser Dieu. L’oublie de Dieu ramène au même. Chacun y va de sa contine qui, même si elle peut dire le tragique d’une existence, n’est qu’une contine car elle ne commence même pas à dire le tragique de l’Homme.

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Une petite histoire de l’Envie, du héros au bouc émissaire

4Le monde moderne ne cesse de nous présenter des boucs émissaires. Lance Armstrong, Richard Millet, Jérôme Kerviel, John Galliano, pour ne citer qu’eux, chacun dans un domaine, avec des causes et des raisons complètement différentes, ont récemment incarné le bouc émissaire, le fauteur justement châtié, l’empêcheur de tourner en rond remit à sa place. Le bouc émissaire est lié à l’égalitarisme, lui-même lié à l’envie. Du héros au bouc émissaire, seule l’envie ne change pas. Le monde moderne a le spectacle dans le sang, le bouc émissaire y a une fonction cathartique.

À l’heure de la démocratie moderne, tout passe par Twitter ou Facebook. La vraie information se trouve là. Ne pas être là équivaut à disparaître, à entretenir une vie dans l’ombre, une vie d’ombre. Sur les réseaux sociaux, il est permis le comble de la démocratie moderne : côtoyer l’idole, vivre avec l’idole, au rythme de l’idole, en connaissant tout d’elle, en la voyant au levé du lit, en l’embrassant en guise de bonsoir ; ne manque que le contact tactile. Cette proximité transforme le rôle de l’idole connue depuis toujours, elle le modifie à jamais. Si l’idole était une simple statuette, elle ne parlerait pas, ne répondrait pas, elle n’occuperait que la place qu’on lui laisse, elle rassemblerait sur son effigie toutes les images mentales que le cerveau peut produire. Le monde moderne ne connaît pas l’image mentale, il est au-delà du fantasme. Il hait ce qui est caché, sans parler de ce qui est secret. D’où cette expression souvent utilisée : le fantasme devenu réalité. Le fantasme — phantasmata, l’image mentale pour le Grec antique — ne peut être, ne doit pas être, une réalité. Sinon l’horreur guette. Sinon nous ne pouvons que prier en attendant que tout reprenne sa place. Il y a un ensauvagement possible à côtoyer l’idole de trop près. Par cette proximité, le monde moderne a entrepris de créer un levier cathartique pour contrôler les consciences. L’idole peut être héros ou bouc émissaire, elle peut servir la société du spectacle et sa dictature molle. Elle permet aussi de remplir des cases : héros, bouc émissaire, déchu, condamné, victime… Une feuille de papier à cigarette sépare ces qualificatifs. Sur fond de moralisme, la société abat ses cartes et distribue les bons ou mauvais points. Tous les domaines sont touchés, mais certains plus « populaires » que d’autres sont affectionnés. Le bouc émissaire permet de se refaire une beauté, de donner le change, ou bien d’affirmer sa responsabilité et son incorruptibilité. Mais personne ne doit être dupe de tels stratagèmes. La société du spectacle est un simulacre de société qui repose sur l’intrusion, sur l’indécence et sur la délation.

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Témoignage chrétien

Lorsque j’ai commencé ce blogue, très vite m’est venue l’idée d’écrire sur la liturgie. Non pas pour revendiquer un statut de spécialiste, mais pour partager mon expérience au sujet de ce qui représente le coeur de la vie d’un chrétien. Il y avait donc deux routes qui devaient se fondre : Il fallait raconter la messe (et ses bienfaits), et ensuite confier le cheminement qui l’avait révélée.

Partie 1 : Quelle messe pour quelle Église ? – Devant l’église

Prêtres en soutaneDurant l’année 1987, je crus que mon heure était arrivée. Ma vie s’effondrait. La vie ne s’effondre jamais, je mettrai quelques années à le comprendre ; ou elle s’arrête, ou elle se transforme. Ma vie se transformait donc, violemment, intensément, elle me proposait l’enantiodromos comme disent les Grecs. L’enantiodromos est cette route qui se fend, qui se sépare, qui devient deux, et nous place face au choix. L’enantiodromos m’a permis de comprendre ce qu’était la liberté. C’était une situation inédite, j’allais m’en rendre compte. Ce croisement où la vie prend une tournure tout à fait inattendue marque le passage de l’enfance à l’âge adulte. Ce moment n’a pas d’âge. Je veux dire que l’on peut le vivre à tout âge. Ce qu’il ne faut pas c’est ne pas le vivre. Ne pas comprendre ce qui différencie la liberté vécue pendant l’enfance de la liberté choisie à l’âge adulte. Parce que le choix fait, nous devenons un autre ; l’expérience nous révèle et donne un cadre et des fondations à la personnalité.

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Au coeur des ténèbres, la vie

The-Tree-of-Life

Après avoir vu « Tree of Life », je me suis longtemps interdit d’écrire sur ce film. Deux forces s’affrontaient en moi. Subjugué par la poésie, par l’état de béatitude dans lequel j’étais plongé, j’avais peur de troubler la surface de cette oeuvre. Je me suis tellement emmitouflé dans le mystère de ce film que je ne comprenais pas les réactions négatives et étais incapable d’avoir un esprit critique1. “Tree of Life” s’appuie sur un livre de la Bible, “le Livre de Job”. Et ce livre ténébreux parle de la vie et de la relation de l’homme à Dieu. Ce qui est présent dans beaucoup de livres de la Bible. Mais le Livre de Job commence par un dialogue entre Dieu et Satan qui se jouent de l’homme. L’impression que nous laisse ce dialogue inaugural est étrange. Bien sûr, le dialogue de début ne serait pas tout à fait de la même époque que le récit central. Peu importe en fait, l’impression laissée se représente au cours du livre. Comment Dieu peut-il se jouer de sa créature bien-aimée ? Une conclusion hâtive rend compte de l’invraisemblable de la situation. En vérité, une fois l’écorce ôtée, le Livre de Job délivre le coeur de la relation entre Dieu et l’homme. Et “Tree of Life”, le film de Terrence Malick, a cette même ambition.

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Une année qui finit…

Sur une année qui finit, on jette souvent un regard furtif. Ne pas trop s’attarder. On ne sait jamais combien de choses dont on s’est forcé à enfouir le souvenir pourraient à nouveau apparaître, à l’instar de ces fenêtres “pop up” impromptues, malpolies et irritantes sur Internet. L’exercice que l’on peut réaliser est de se concentrer très fortement pour extraire les événements importants ; les événements qui permettront de comprendre pourquoi ils ont tellement compté ; en quoi ils se sont révélés déterminants. Il est aussi important de ne pas perdre de vue le moment où l’événement apparaît.

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Dans l’ombre d’Ernesto Sabato

Lorsqu’Ernesto Sabato s’éteint le 30 avril dernier à 99 ans, il se répète les paroles de Maria Zambrano : Mourir cette action insaisissable qui se réalise en obéissant, advient au-delà de la réalité, dans un autre royaume. Dans sa maison de Santos Lugarès (“Lieux saints” près de Buenos-Aires), Ernesto Sabato obéit à cette dernière injonction. Il s’y est préparé de longue date. Dans Résistance, son émouvant testament littéraire paru en 2002, il écrivait : J’ai oublié de grands pans de ma vie, mais, en revanche, certaines rencontres, des moments de danger et le noms de ceux qui m’ont tiré des dépressions et de l’amertume palpitent encore dans mes mains. Et les vôtres aussi, vous qui croyez en moi, qui avez lu mes livres et allez m’aider à mourir.

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Monseigneur Centène…

Les Vannetais sont des gens bien lotis. L’homélie de Monseigneur Centène en la cathédrale Saint-Pierre de Vannes dimanche dernier revigore. Ce n’est pas la première fois que les homélies de Monseigneur Centène sont citées sur les sites catholiques, et au vu de la qualité de celles-ci, ce n’est pas près de finir.

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