Esquisse sur l’autorité ou une définition du progressiste.

À la suite de l’article, Pourquoi cette haine de l’autorité ? j’ai reçu de nombreuses réactions. La première consistait à confondre, ou à me demander de ne pas confondre, le pouvoir et l’autorité. Ici, on peut constater une chose : beaucoup de personnes sur les réseaux sociaux acquiescent encore à cette différence. Elle marque même pour eux une frontière qu’ils décrètent infranchissable, même si peu d’entre eux s’aventurent à expliquer la différence entre pouvoir et autorité. Et, comme l’article se consacrait en partie à marquer cette différence, peut-être pas cependant comme on a l’habitude de le faire, cela a heurté et provoqué des interrogations. Dans beaucoup de discussions sur X, les commentaires pensaient que cet article défendait Emmanuel Macron ! C’est dire comme on lit en diagonale sur Internet ! Mais, comprenons que le président de la République incarne pour beaucoup de Français une forme autoritaire du pouvoir.

Ainsi, il y avait cette intuition sur l’obéissance : « l’autorité inaugure tout le temps quelque chose de nouveau à travers la maîtrise que l’on peut avoir de ses propres passions. » Dans cette phrase, il est possible de remplacer le mot autorité par dogme. J’évalue lequel de ces deux mots fait le plus peur. L’inversion des valeurs et du sens des mots permet aux progressistes de dire à peu près n’importe quoi et d’en faire… un dogme. Le progressiste ne se nourrit que d’ » idées en l’air » selon la formidable formule de Claude Tresmontant. Si je devais expliquer un peu cette formule, je dirais que le progressiste s’enracine dans sa propre pensée. Il fait évoluer sa pensée pour la faire évoluer tout d’abord, le progressiste fait pour faire, n’obéissant à aucune autorité, il fuit la dépression et la solitude que produit en lui une pensée seulement tournée vers soi-même. Dès lors, il puise dans ses dernières lubies pour en bâtir de nouvelles. Ne voit-on pas la filiation qui existe entre le wokisme et le travail de sape qui a été fait depuis des décennies en France contre ce que l’on a appelé en le dénaturant, le roman national ? Ceux qui auraient été les thuriféraires de gauche de Jeanne d’Arc au début du XXᵉ siècle sont aujourd’hui ses contempteurs et clament qu’elle n’a pas existé ! C’est dire comme le progressisme est une machine à se dérégler toute seule, croyant se corriger, elle ne fait qu’accentuer sa fuite en avant. Les progressistes et la gauche en général sont les vrais réactionnaires de notre époque et le sont de plus en plus, forcés qu’ils sont à cette fuite, car incapables de déclarer leurs torts et leurs erreurs. Ils se trompent et ils trompent. Ils ne font que réagir aux événements sans jamais pratiquer le moindre empirisme, car ils habitent le futur (je dis bien le futur, pas l’avenir, car il n’y a pas d’avenir sans passé, quand le futur représente un but à atteindre qui échappe toujours).

L’autorité inaugure quelque chose de complètement différent. Elle propose de s’adosser au passé pour définir ou redéfinir ce que l’on peut imaginer arriver. Il ne s’agit surtout pas d’un absolutisme, mais plutôt d’un conservatisme. C’est aussi pour cette raison qu’il y a si peu de thèses sur le conservatisme. Il y a beaucoup d’écrits sur la façon de garder, de sauvegarder, de promouvoir, mais moins souvent d’en tirer une vision. Le conservateur a continuellement laissé cette place au progressiste qui s’en délecte, alors qu’il n’a rien de sérieux à y faire. Quelle personne censée aurait proposé de transformer notre démocratie vieillissante et en faillite, vivant sous perfusion, en un système politique de défense des minorités ? Je ne nie pas la protection du faible, je nie que cela devienne le seul motif d’actions politiques. D’autant que le faible du progressiste se cache sous un manteau idéologique nauséabond. En effet, il contient un droit d’inventaire du faible. Il y a faible et faible. Cependant, la politique se mélange très mal avec le sentimentalisme et notre démocratie y est empêtrée. Le conservateur ignore détailler son action, bâtir un grand schéma et le donner à aimer. Parce qu’il est toisé par les moralistes progressistes qui n’ont de cesse de l’emprisonner d’une chape morale qui repose sur un jugement sentimental. Surseoir à ce diktat obligerait à accepter l’étiquette autoritaire, mais cette fois cette étiquette ne serait plus donnée par le peuple comme dans le cas d’Emmanuel Macron — parce que le peuple reconnait l’autorité légitime —, mais par la presse et l’intelligentsia progressiste. Qui s’en plaindrait ?

Ernst Jünger dans Héliopolis rêvait d’une sorte d’État au-delà de la politique dirigée par le “Régent”. Il n’y a aucun régent dans notre monde moderne, juste deux camps qui s’épient sans jamais penser qu’ils peuvent s’apporter quelque chose l’un à l’autre. Cet antagonisme est de plus en plus visible à tous les étages de la société. Il indique une perte de goût commun, un manque de culture croissant, et un langage atrophié qui, est réduit à sa plus simple expression — tout au moins, à sa plus simple utilité, comme la langue américaine. L’américain fait au français ce qu’il a fait à l’anglais, il l’épuise —, ne sait plus exprimer les nuances que le dialogue demande. On étiquette et on classe chacun en fonction de ce qu’il pense ou croit ou vote. La discussion devient une perte de temps, et comme les participants manquent de tout sens, le dialogue ne peut en acquérir. Il y a une fatalité en cours, une façon de destin.

Le destin séduit et ensorcelle les hommes quand ces derniers ne croient plus à la liberté. L’Occident ne croit plus en la liberté, parce qu’il ne croit plus en Dieu. Notre civilisation a su au cours des âges, tisser des liens remarquables devenus inextricables avec la liberté, tirer sur un fil qui dépasse revient à anéantir notre monde. L’héritage refuse le droit d’inventaire.

Exil, migrants et Saint-Père (2)

Réflexions aux différents propos du Saint-Père concernant les migrants

Les migrants qui arrivent de nos jours en Europe ne fuient pas tous une situation catastrophique. Ils arrivent souvent en brandissant de grands sourires. Ils ne semblent pas tous miséreux. Ils ne montrent aucune nostalgie de leur pays et arrivent en nombre pour retrouver un autre nombre. La mélancolie est absente, car compensée par le communautarisme qu’ils importent et qu’ils retrouvent. Enfin, ils voyagent en célibataires, sans femmes ni enfants, ce qui devrait intriguer. Pour le moins. Qu’il y ait une volonté derrière cela paraît évident, même si l’étiquette complotiste sera brandie à cette phrase. Les migrants à l’ancienne, quittait une situation défavorable pour trouver non pas le confort, mais plutôt pour échapper à l’enfer, sans être sûrs de trouver un réconfort, mais armés de l’espérance comme je l’ai dit plus haut. Ils partaient avec femmes et enfants, car ils voulaient les protéger. Le sentiment national a disparu de chez les migrants modernes, sont-ils a-nationaux ? Si c’est le cas, qu’est-ce qui pourrait les rendre a-nationaux, une supra-nationalité ? Où trouvent-ils l’argent pour faire la traversée ? Pendant la guerre en Irak, des autorités religieuses chrétiennes avaient noté que des passeports et des visas avaient été largement distribués, là où, avant-guerre, il était extrêmement difficile d’en avoir un. Enfin que la majorité de ses migrants soient musulmans devrait aussi interroger. Quand on sait qu’un musulman doit mourir (et donc vivre) sur une terre musulmane, on ne peut que se poser la question de leur manque d’envie de rejoindre une terre musulmane. D’autant que celles-ci sont souvent bien plus proches géographiquement que l’Europe. Autant de questions que le pape François ne pose jamais. Autant de questions qui semblent pourtant tomber sous le sens.

Exil, migrants et Saint-Père

Il suffit d’écouter la musique envoûtante de quelques tangos, Carlos Gardel, bien sûr, Astor Piazzolla aussi, et d’autres, qui ont ainsi chanté l’exil, le lointain, l’inaccessible, pour chasser leurs vagues à l’âme, leur mélancolie et vivre le temps d’une chanson dans le bonheur conjugué de leurs souvenirs et de leurs espoirs, pour ressentir la détresse de celui qui croit avoir perdu son pays pour toujours.

Cette conjugaison s’intitule l’espérance. Là où l’âme vibre de se sentir vivante. Le pape François en bon Argentin ressent dans ses veines la migration de ses aïeux vers cet eldorado, l’Argentine. Que cela modifie sa vision du migrant, dont le nom trop générique indique dès le début la difficulté d’en parler, est indéniable et s’avère une clef pour comprendre ses discours erratiques sur le sujet.

L’exil force l’âme à se dévoiler, et à voiler. À dévoiler certaines choses en soi que l’on ne savait pas, que l’on ignorait, que l’on gardait cachées par peur de ce qu’elles pouvaient receler. Face à l’exil, elles sortent de soi comme de rien, deviennent ce qu’elles ont toujours été, et nous dominent. Quel mérite forgé par l’exil en nous, souvent malgré nous, car nous nous y refusions ! L’exil fait tomber une barrière souvent érigée dans l’urgence et sans véritables réflexions. L’homme est un animal à réaction. Lorsqu’il évolue dans son élément habituel, il réagit le plus souvent à ses propres démons, des ressentiments et des mouvements d’humeur. Lorsqu’il sort de son cocon, il réagit pour survivre s’appuyant sur ce en quoi il croit, souvent le fruit de sa culture, mais sa nature n’y est pas étrangère non plus. Cet enracinement le préserve la plupart du temps de la déception de soi, mais pas de la mélancolie, le mal du pays.

L’expression, les voyages forment la jeunesse, provient de cette expérience. L’exil oblige le cœur, l’esprit et le corps à communiquer différemment avec l’âme qui se dévoile donc, mais qui demande aussi à voiler des pans de notre personnalité qu’elle tenait pour acquis. Quelquefois, ce sont des pans dévoilés qui viennent voiler d’autres pans. Ce que nous croyons se révèle surestimé.

En exil, même les certitudes apparaissent nouvelles.

Pourquoi cette haine de l’autorité ?

L’autorité ressemble à ces agents secrets chers à Graham Greene qui dissimulent leur identité pour ne pas la perdre davantage lors d’une mauvaise rencontre. Elle a encore quelques adorateurs qui l’affectionnent et déploient des trésors d’ingéniosité pour la définir, la redéfinir, pour qu’elle soit comprise de son époque. Pour cela, ils la rapprochent de la tradition, de l’honneur, de la hiérarchie, de la loi naturelle… ils n’ont de cesse de lui donner une canne, des béquilles, un trépied, pour qu’elle puisse encore sortir de sa cachette et prendre l’air. Les mots auxquels ils rattachent l’autorité ressemblent à des pansements, des cautères, qui, au bout du compte, la dissimulent un peu plus. Le désamour est prononcé depuis un long temps et s’accentue. Rien ne peut sauver l’autorité, tout ce qu’elle inspire rappelle des vieilleries dont on sait se passer. Elle ne sert à rien. Elle ne sert de rien.

L’autorité, dans son sens latin, vient d’auctor qui signifie celui « qui accroît », et de auctoritas, qui a « pouvoir d’imposer l’obéissance ». L’autorité s’assimile au pouvoir, ce que l’on oublie en séparant le pouvoir et l’autorité. En revanche, c’est un pouvoir sans pouvoir, elle ne contraint pas. Son champ d’action naît de l’éthique, du savoir, de la croyance… Car elle requiert l’obéissance. C’est là que l’on commence à buter sur son sens, car l’époque n’aime pas bien l’obéissance. Et, comme l’époque n’apprécie guère plus la croyance, elle dénigre l’autorité. Elle la dévalue, elle l’identifie à un pouvoir lâche et aveugle. Elle lui administre un surnom qui est devenu un sous-entendu : autoritarisme. Comme pour révéler ce qu’elle cache sous son masque de mansuétude : un caractère brutal, violent et instable. Il faut la démasquer. Il faut la calomnier. Il ne faut surtout ne plus rien comprendre, et qu’est-ce que ne rien comprendre sinon une nouvelle forme de croyance ? L’autorité impose des limites dont plus personne ne veut plus, qui obligent et empêchent d’être ce que l’on désire. L’époque pense que c’est en étant ce que l’on désire que l’on sera ce que l’on mérite. L’individualisme règne en maître, et sans partage. Personne ne sait mieux que soi ce qui est bon pour soi. Qu’on se le tienne pour dit ! Comme il fallait faire fi des limites et de la hiérarchie, l’époque balança l’autorité au rebut après l’avoir mise au piquet. L’autorité catalysait la modernité. Il fallait la mater.

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Quel est le problème avec la messe de Paul VI  ?

Il y a maintenant plus de cinquante ans, l’Église catholique se dotait d’une nouvelle messe qui rompait d’une manière encore jamais vue avec la tradition de l’Ėglise. Les réformateurs n’avaient cependant pas prévu que la messe traditionnelle leur perdure. Ils étaient même persuadés du contraire. Et ils utilisèrent tous les moyens en leur possession pour arriver à leurs fins : la suppression de la messe romaine traditionnelle1 Pourtant, force est de constater que cette messe continue d’attirer de nombreux fidèles, et parmi eux, des jeunes gens qui s’engagent, comme priants, comme séminaristes, à célébrer et à faire vivre cette forme du rite romain. Ces derniers sont souvent accusés d’être des fauteurs de trouble, des nostalgiques, des identitaires, et surtout, crime de lèse-majesté, d’être contre le Concile Vatican II, que l’on ne sépare plus de son propre esprit ; cet esprit du concile dont on se repaît sans jamais vraiment le qualifier, comme pour à peu près toutes les choses importantes. Dans l’Église comme ailleurs, les progressistes agissent en essentialisant leurs contradicteurs afin de les discréditer. La liturgie est le sommet et la source de la vie de l’Église comme le rappelle le dernier concile, et la liturgie est tradition. Pour dénouer la crise de la liturgie qu’elle porte en son sein, l’Église devra retisser les fils de la tradition abimée et blessée, même et surtout, si l’époque la presse de n’en rien faire.

Quel Vatican II ?

« Le nouvel Ordo Missae, si l’on considère les éléments nouveaux, susceptibles d’appréciations fort diverses, qui y paraissent sous-entendues ou impliquées, s’éloigne de façon impressionnante, dans l’ensemble comme dans le détail, de la théologie catholique de la Sainte Messe, telle qu’elle a été formulée à la XXIIe session du Concile de Trente, lequel, en fixant définitivement les “canons” du rite, éleva une barrière infranchissable contre toute hérésie qui pourrait porter atteinte à l’intégrité du Mystère »2 Le cardinal Ottaviani, préfet émérite de la Congrégation pour la Doctrine de la foi s’adressait ainsi le 3 septembre 1969 à Paul VI, nous étions à quelques semaines de l’entrée en vigueur de la nouvelle messe. Cela concluait d’une certaine façon, le Concile Vatican II qui avait pourtant fermé ses portes depuis quatre ans  ! Attardons-nous un peu sur la figure de cardinal Alfredo Ottaviani : fils de boulanger, issue des quartiers pauvres de Rome, il se révèle un très bon élève au séminaire pontifical romain, et obtient trois doctorats, en théologie, en philosophie et en droit canon. Secrétaire du Saint-Office, puis propréfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi, il travailla les quatre années précédent le concile à préparer les thèmes à traiter et prononcera l’habemus papam pour l’élection de Jean XXIII. Ce mois d’octobre 1962 verra les masques tomber et les prises de position, progressistes ou modernistes, s’afficher. Jean XXIII, dans son discours d’ouverture du Concile, affichera un certain mépris pour l’équipe curiale de Pie XII en déclarant : « L’Épouse du Christ préfère recourir au remède de la miséricorde, plutôt que de brandir les armes de la sévérité. Elle estime que, plutôt que de condamner, elle répond mieux aux besoins de notre époque, en mettant davantage en valeur les richesses de sa doctrine. »3 Il y a dans cette phrase une dichotomie qui inaugure et préfigure tout le Concile Vatican II : peut-il y avoir miséricorde s’il n’y a pas condamnation d’un acte ? Pourquoi y aurait-il remède s’il n’y a auparavant blessure ? Ne voyait-on la volonté de mettre le péché sous le tapis comme une poussière incommodante ? Le ton employé où la mansuétude s’affirme comme autorité suprême deviendra le leitmotiv du Concile Vatican II. Dès lors une fronde s’organise. On rejette les textes préparés par la curie. Notamment De fontibus revelationis, sur les sources de la révélation, et le De Ecclesia. Il fallait une majorité absolue pour entériner ce rejet, Jean XXIII donna son accord et se contenta de la majorité relative. « Ainsi fut réalisé un véritable coup d’État, par lequel l’ensemble des tendances libérales, en train de s’organiser en “majorité conciliaire”, ravirent le pouvoir doctrinal à la Curie héritée de Pie XII. » 4. On commença dès lors, et puisque les textes de travail avaient été foulés aux pieds et mis au rebut, de travailler à la liturgie. On pensait le sujet rassembleur. Les progressistes avaient comme à leur habitude un agenda, ce que les conservateurs n’ont presque jamais. Le cardinal Ottaviani, le 30 octobre 1962, prit la parole, il n’était pas encore aveugle et allait faire preuve de clairvoyance, il demanda qu’on ne traitât pas le rite de la messe « comme un morceau de tissu qu’on remet à la mode selon la fantaisie de chaque génération ». Il sembla à l’assistance qu’il était trop long dans son développement. Il fut interrompu sans égard à son rang. On coupa son micro sous les applaudissements d’un grand nombre de Pères. Le Concile Vatican II pouvait commencer.

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L’Argentine gagne contre le mondialisme

Jamais une Coupe du monde n’avait si mal commencé. Offerte au Qatar, avec Zinédine Zidane comme ambassadeur, dans un climat suspicieux de corruption. On a tout dit de ce pays, grand comme la moitié de la Bretagne, réussissant à changer la saison de la coupe du monde pour la première fois depuis qu’elle existe, climatisant ses stades, et tuant des ouvriers à la tâche pour que tous les stades soient prêts à temps. À propos du changement de date : jouer l’été après la saison de clubs, permettait de préparer les joueurs et de constituer un groupe, ce qui est toujours difficile avec les équipes nationales, l’alchimie doit se produire en peu de temps et les résultats doivent être immédiats ; jouer en hiver garantit d’avoir des joueurs n’ayant pas joué une saison entière, moins usés mentalement et physiquement donc et qui bénéficient de leur préparation d’avant-saison… Concernant la main-d’œuvre, a-t-on jamais entendu parler de la main d’œuvre à bas coût utilisée de manière systématique depuis des décennies à chaque organisation de grand-messes à travers le monde ? De même, l’argument consistant à bavarder de la santé des joueurs en péril sous ce climat prêtait à sourire. Qui s’était soucié de la santé des joueurs à la coupe du monde 1986 au Mexique, par exemple, où une chaleur et une humidité impossibles régnaient, cette organisation n’avait pas ému le monde à l’époque. Le choix du Qatar aurait dû être dénoncé dès que le nom de ce pays a bruissé, après, il était trop tard et la décence aurait dû prévaloir. Sur le plan du jeu, cette coupe du monde marquait la fin d’une génération extraordinaire : Cristiano Ronaldo et Lionel Messi jouaient leur dernière coupe du monde. Cette coupe du monde s’annonçait comme l’avènement de Mbappé. Le jeune prodige français s’apprêtait à enterrer les vieilles gloires sans coup férir. 

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Antigone, insoumise et intime (7/7. L’amour)

7ème et dernière partie : L’amour

Le désir d’Antigone est familial, elle ne veut pas laisser son frère sans sépulture ; Créon, lui, désire s’affirmer en tant que roi et montre son pouvoir. Antigone privilégie les liens familiaux qui incarnent l’amour et révèlent un être. Créon assoit son pouvoir en signant un acte de loi qui doit établir son autorité. Un même mot caractérise leur action : le désir. Mais le désir ne reconnaît pas le désir chez l’autre, on pourrait croire, surtout si l’on est tenté d’aduler le désir pour lui-même, que le désir adoube tout désir qu’il rencontre. Entre Créon et Antigone, c’est la mesure des désirs qui compte. Face à face, Antigone et Créon vont augmenter la mesure de leurs désirs à l’adversité qu’ils rencontrent. Mais la source du désir d’Antigone est-il encore compréhensible de nos jours ? En effet, le désir d’Antigone, ce désir qui se fonde sur la justice, justice faite et rendue à la dépouille de son frère et aux dieux, ce désir prend tout son sens, car il est communautaire, il s’inscrit dans une cité et dans une famille, vision réduite de la cité, et dans une croyance, Antigone s’adosse aux dieux pour interpeller Créon. Antigone n’exprime pas un désir personnel, elle défend une loi éternelle, elle défend son devoir à le dire, à le clamer devant n’importe quel pouvoir qui se croirait au-dessus d’elle. Depuis quand n’entendons-nous plus qui que ce soit s’ériger dans l’espace public pour clamer son devoir au prix de sa vie ? Le pire ? Nous nous sommes habitués à ce silence, cette résignation, les lois transcendantales ne nous disent plus grand-chose, donc rien ne vient surplomber et donc corriger les lois qui passent devant nous et nous encerclent comme des détritus dans un courant d’eau. Les communautés qui fortifiaient l’individu au sein d’un espace qui le protégeait et lui permettait de grandir ont volé en éclats. L’individu ressemble maintenant à un électron fou qui ne peut se construire que des bourrasques de vent qui l’épuisent et le déboussolent sans cesse et effacent jusqu’au goût du sens à donner à sa vie. La vie sociale repose sur le droit et le droit seul, mais en un lieu sans géographie composée de gens hors sol tous les droits se valent et se concassent dans un odieux capharnaüm. Créon a le pouvoir. Antigone est la fille d’Œdipe. À une époque où il ne s’agit plus que d’avoir, de posséder, d’acquérir, Antigone pèse — puisqu’il faut évaluer — bien peu. La destruction méthodique de toute métaphysique s’apparente à un crime contre l’humanité. Peut-être le plus grand que le monde a connu. Puisque d’un clic, je peux tout acquérir je n’ai plus besoin que de connaître mon désir pour le rassasier. On comprend aussi que ce désir individuel que plus rien ne protège de son appétit n’accepte aucune limite et surtout pas celle posée par autrui ; alors entre en jeu l’envie, le désir dévoyé, avili.

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Antigone, insoumise et intime (5/7. L’autorité)

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5ème partie : L’autorité

Dans la Grèce antique, les hommes se connaissent et se reconnaissent dans le regard de leur famille, de leurs proches, de leur communauté. Les femmes se réservent le miroir qui est parti de la beauté, de la féminité, de la séduction. Le reflet est partout. « Là n’est pas de lieu qui ne te voit » écrit Rilke. Peut-on exister sans reflet ? Peut-on avoir conscience sans se connaître ? L’homme ne doit pas se voir dans le miroir de peur d’être absorbé par son image. Cette image qui réussit à nous faire oublier que nous sommes là. Si l’on pense ce que l’on voit, on l’entend, cela résonne en nous, et on le rêve aussi. Notre image nous échappe dès que nous la voyons. Ainsi la femme s’ajuste dans le miroir quand l’homme pourrait y perdre ses fondements. Le rêve, binôme de la mémoire, dissimule le temps et l’engourdit. Qu’a-t-on vu et quand ? Le regard et le reflet et l’imaginaire s’interpénètrent et ne peuvent être dissociés. Voir et se connaître se confond chez les Grecs. Voir, se connaître… mais pas trop, car si l’homme est une merveille, dans le sens d’un incident, d’une fracture fascinante, il recèle aussi sa propre terreur, il s’extermine et se torture, et il est bien le seul « animal » dans ce cas.

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Qu’est-ce qu’être hors-sol ?

L’exemple le plus éclairant concernant la nature humaine se trouve dans le Nouveau Testament quand Pierre et Jésus-Christ parlent ensemble et que Pierre insiste auprès de son maître pour qu’il croie sa dévotion tout à fait sincère. Ainsi, Jésus lui annonce que le coq n’aura pas chanté qu’il l’aura renié trois fois. Le premier endroit d’où parle tout homme est celui-ci : sa faiblesse. La prise en compte des limites de chacun, non pas toujours pour s’y résoudre, mais aussi pour les surmonter, oblige à raisonner à partir de ce que l’on est et non pas à partir de ce que l’on croit être. Tout homme qui ne connaît pas ses faiblesses, qui les oublie, qui ne les prend pas en compte est hors-sol comme on a pris l’habitude de le dire de nos jours. Hors-sol signifiant que l’on est nourri par un pâturage qui n’est pas le nôtre, que l’on renie son pâturage pour trouver tout autre pâturage que le sien meilleur, car autre. Hors-sol signifie aussi que les propos reçus pourraient être obtenus partout ailleurs dans le monde sans que cela pose problème, ces propos étant sans racines, traduisible en toute langue et exportable tel un « framework » en informatique. La formule « hors-sol » interdit de répondre à la question « d’où parles-tu ? » et la première formule aime à brocarder la seconde comme identitaire ou d’« extrême-droite ». À force d’avoir voulu esquiver cette question, on l’a anéantie. À l’avenir il ne sera plus possible de demander d’où l’on parle, car on aura atteint un tel niveau d’abstraction et de déracinement que cette question n’aura même plus de sens.

Antigone, insoumise et intime (3/7. Le destin)

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3ème partie : le destin

L’homme descend de l’arbre. L’homme, comme l’arbre, se définit aussi bien par ses racines ou par ses fruits. L’homme, comme l’arbre, dépend d’éléments extérieurs et intérieurs pour atteindre la maturité. L’homme ressemble à ce tronc sculpté par les épreuves s’appuyant sur ses racines et portant des fruits plus ou moins beaux, plus ou moins bons… Les ressemblances entre le monde végétal et l’homme sont infinies. De l’eau qui nourrit les racines au soleil arrosant les fruits, à l’oxygène exsudé par les feuilles, toute cette vie qui s’engouffre et circule nous rappelle de manière irrémissible la condition humaine. L’arbre est une métaphore de la famille. De la plantule aux fruits et feuilles, une métaphore de l’histoire de l’homme et de la famille se développe. Quelles fées maléfiques présidaient à la naissance de la famille des Labdacides dont descend Antigone ? N’importe quelle belle conscience de nos jours y verrait une calamité et une explication pathologique des décisions d’Antigone. Comment cette petite Antigone devient-elle ce fruit héroïque en naissant sur un tronc si plein de stigmates et  meurtrissures ? Le destin souffle et guide de manière ininterrompue et obtus cette famille et, soudain, Antigone se libère de ce carcan, libère toute sa famille de ce carcan, elle défait la camisole, et achève de congédier le destin. Quel prodige ! De loin, accrochées à leur branche, deux feuilles semblent toujours identiques, il suffit pourtant de s’approcher pour voir à quel point elles diffèrent. Lire la suite de “Antigone, insoumise et intime (3/7. Le destin)”