Pourquoi cette haine de l’autorité ?

L’autorité ressemble à ces agents secrets chers à Graham Greene qui dissimulent leur identité pour ne pas la perdre davantage lors d’une mauvaise rencontre. Elle a encore quelques adorateurs qui l’affectionnent et déploient des trésors d’ingéniosité pour la définir, la redéfinir, pour qu’elle soit comprise de son époque. Pour cela, ils la rapprochent de la tradition, de l’honneur, de la hiérarchie, de la loi naturelle… ils n’ont de cesse de lui donner une canne, des béquilles, un trépied, pour qu’elle puisse encore sortir de sa cachette et prendre l’air. Les mots auxquels ils rattachent l’autorité ressemblent à des pansements, des cautères, qui, au bout du compte, la dissimulent un peu plus. Le désamour est prononcé depuis un long temps et s’accentue. Rien ne peut sauver l’autorité, tout ce qu’elle inspire rappelle des vieilleries dont on sait se passer. Elle ne sert à rien. Elle ne sert de rien.

L’autorité, dans son sens latin, vient d’auctor qui signifie celui « qui accroît », et de auctoritas, qui a « pouvoir d’imposer l’obéissance ». L’autorité s’assimile au pouvoir, ce que l’on oublie en séparant le pouvoir et l’autorité. En revanche, c’est un pouvoir sans pouvoir, elle ne contraint pas. Son champ d’action naît de l’éthique, du savoir, de la croyance… Car elle requiert l’obéissance. C’est là que l’on commence à buter sur son sens, car l’époque n’aime pas bien l’obéissance. Et, comme l’époque n’apprécie guère plus la croyance, elle dénigre l’autorité. Elle la dévalue, elle l’identifie à un pouvoir lâche et aveugle. Elle lui administre un surnom qui est devenu un sous-entendu : autoritarisme. Comme pour révéler ce qu’elle cache sous son masque de mansuétude : un caractère brutal, violent et instable. Il faut la démasquer. Il faut la calomnier. Il ne faut surtout ne plus rien comprendre, et qu’est-ce que ne rien comprendre sinon une nouvelle forme de croyance ? L’autorité impose des limites dont plus personne ne veut plus, qui obligent et empêchent d’être ce que l’on désire. L’époque pense que c’est en étant ce que l’on désire que l’on sera ce que l’on mérite. L’individualisme règne en maître, et sans partage. Personne ne sait mieux que soi ce qui est bon pour soi. Qu’on se le tienne pour dit ! Comme il fallait faire fi des limites et de la hiérarchie, l’époque balança l’autorité au rebut après l’avoir mise au piquet. L’autorité catalysait la modernité. Il fallait la matter.

Lire la suite de “Pourquoi cette haine de l’autorité ?”

Quel est le problème avec la messe de Paul VI  ?

Il y a maintenant plus de cinquante ans, l’Église catholique se dotait d’une nouvelle messe qui rompait d’une manière encore jamais vue avec la tradition de l’Ėglise. Les réformateurs n’avaient cependant pas prévu que la messe traditionnelle leur perdure. Ils étaient même persuadés du contraire. Et ils utilisèrent tous les moyens en leur possession pour arriver à leurs fins : la suppression de la messe romaine traditionnelle1 Pourtant, force est de constater que cette messe continue d’attirer de nombreux fidèles, et parmi eux, des jeunes gens qui s’engagent, comme priants, comme séminaristes, à célébrer et à faire vivre cette forme du rite romain. Ces derniers sont souvent accusés d’être des fauteurs de trouble, des nostalgiques, des identitaires, et surtout, crime de lèse-majesté, d’être contre le Concile Vatican II, que l’on ne sépare plus de son propre esprit ; cet esprit du concile dont on se repaît sans jamais vraiment le qualifier, comme pour à peu près toutes les choses importantes. Dans l’Église comme ailleurs, les progressistes agissent en essentialisant leurs contradicteurs afin de les discréditer. La liturgie est le sommet et la source de la vie de l’Église comme le rappelle le dernier concile, et la liturgie est tradition. Pour dénouer la crise de la liturgie qu’elle porte en son sein, l’Église devra retisser les fils de la tradition abimée et blessée, même et surtout, si l’époque la presse de n’en rien faire.

Quel Vatican II ?

« Le nouvel Ordo Missae, si l’on considère les éléments nouveaux, susceptibles d’appréciations fort diverses, qui y paraissent sous-entendues ou impliquées, s’éloigne de façon impressionnante, dans l’ensemble comme dans le détail, de la théologie catholique de la Sainte Messe, telle qu’elle a été formulée à la XXIIe session du Concile de Trente, lequel, en fixant définitivement les “canons” du rite, éleva une barrière infranchissable contre toute hérésie qui pourrait porter atteinte à l’intégrité du Mystère »2 Le cardinal Ottaviani, préfet émérite de la Congrégation pour la Doctrine de la foi s’adressait ainsi le 3 septembre 1969 à Paul VI, nous étions à quelques semaines de l’entrée en vigueur de la nouvelle messe. Cela concluait d’une certaine façon, le Concile Vatican II qui avait pourtant fermé ses portes depuis quatre ans  ! Attardons-nous un peu sur la figure de cardinal Alfredo Ottaviani : fils de boulanger, issue des quartiers pauvres de Rome, il se révèle un très bon élève au séminaire pontifical romain, et obtient trois doctorats, en théologie, en philosophie et en droit canon. Secrétaire du Saint-Office, puis propréfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi, il travailla les quatre années précédent le concile à préparer les thèmes à traiter et prononcera l’habemus papam pour l’élection de Jean XXIII. Ce mois d’octobre 1962 verra les masques tomber et les prises de position, progressistes ou modernistes, s’afficher. Jean XXIII, dans son discours d’ouverture du Concile, affichera un certain mépris pour l’équipe curiale de Pie XII en déclarant : « L’Épouse du Christ préfère recourir au remède de la miséricorde, plutôt que de brandir les armes de la sévérité. Elle estime que, plutôt que de condamner, elle répond mieux aux besoins de notre époque, en mettant davantage en valeur les richesses de sa doctrine. »3 Il y a dans cette phrase une dichotomie qui inaugure et préfigure tout le Concile Vatican II : peut-il y avoir miséricorde s’il n’y a pas condamnation d’un acte ? Pourquoi y aurait-il remède s’il n’y a auparavant blessure ? Ne voyait-on la volonté de mettre le péché sous le tapis comme une poussière incommodante ? Le ton employé où la mansuétude s’affirme comme autorité suprême deviendra le leitmotiv du Concile Vatican II. Dès lors une fronde s’organise. On rejette les textes préparés par la curie. Notamment De fontibus revelationis, sur les sources de la révélation, et le De Ecclesia. Il fallait une majorité absolue pour entériner ce rejet, Jean XXIII donna son accord et se contenta de la majorité relative. « Ainsi fut réalisé un véritable coup d’État, par lequel l’ensemble des tendances libérales, en train de s’organiser en “majorité conciliaire”, ravirent le pouvoir doctrinal à la Curie héritée de Pie XII. » 4. On commença dès lors, et puisque les textes de travail avaient été foulés aux pieds et mis au rebut, de travailler à la liturgie. On pensait le sujet rassembleur. Les progressistes avaient comme à leur habitude un agenda, ce que les conservateurs n’ont presque jamais. Le cardinal Ottaviani, le 30 octobre 1962, prit la parole, il n’était pas encore aveugle et allait faire preuve de clairvoyance, il demanda qu’on ne traitât pas le rite de la messe « comme un morceau de tissu qu’on remet à la mode selon la fantaisie de chaque génération ». Il sembla à l’assistance qu’il était trop long dans son développement. Il fut interrompu sans égard à son rang. On coupa son micro sous les applaudissements d’un grand nombre de Pères. Le Concile Vatican II pouvait commencer.

Lire la suite de “Quel est le problème avec la messe de Paul VI  ?”

Lettre au Pape François au sujet de la messe

Préambule
Cette lettre au Pape François a été d’abord écrite pour La Voie Romaine 1 afin de rendre témoignage de la beauté et de l’efficacité du rite traditionnel romain et de témoigner du choc causé par le motu proprio, Traditionis custodes, publié le 16 juillet 2021 par le Pape François.

Saint Père,
Je m’extirpais d’un terrible cauchemar : j’ai rêvé que vous limitiez l’accès à la liturgie traditionnelle, j’ai dès lors pensé qu’il était important de vous révéler combien la messe de saint Pie V a marqué mon existence sans que j’y sois préparé le moins du monde. Savez-vous qu’il m’est difficile d’écrire Saint-Père, car je n’ai pas eu de père. J’en ai un, comme tout un chacun, mais, je ne l’ai pas eu quand j’aurais dû l’avoir. Ainsi, il m’a abandonné avant que je naisse. Je l’ai retrouvé, plus tard, mais vous comprenez que je ne l’ai pas eu au bon moment. Je n’ai pas eu les bons moments qu’un enfant connaît avec son père. Je ne l’ai pas connu lorsque le besoin s’en faisait sentir, et le besoin s’en faisait sentir à tout moment puisque l’absence le créait Je n’ai pas eu de père pour me guider, comme un tuteur, pour partager mes goûts et mes dégoûts, pour épouser mes vues ou les infléchir.

Lire la suite de “Lettre au Pape François au sujet de la messe”

Benoît XVI au Paradis !

— Est-il matin ou soir ?
Mon souffle se coupait, puis il reprenait. Comme s’il donnait signe d’une défectuosité. Il me lâchait. Le pneuma me quittait. J’ai soufflé que j’étais prêt. Mon Dieu que j’aime ! Mais, le souffle revint, l’air de rien, comme s’il s’était absenté pour faire une course. La memores est sortie. Je savais que G. allait arriver. J’espérais que mes dernières forces durent jusqu’à son retour. Je l’attendais pour entrer en agonie. Je ne ressentais aucune tension. Je crois que tout s’est fait rapidement ensuite. Le temps se bouscule. J’entendais différents sons qui ne paraissent pas appartenir tous au même univers. Cela me donnait une vague torpeur comme on en ressent lorsqu’on est comateux. Des sonorités venant de plusieurs dimensions.
G arriva avec deux sœurs, mes petites memores qui avaient si bien pris soin de moi toutes ces années. J’entendais parfaitement ce qui se disait. L’âme a des oreilles, n’est-ce pas ? Je jaugeais quels témoins seraient présents lors de mon jugement. J’interrogeai mon ange, mais il ne répondit pas. Était-il déjà appelé pour paver ma route ? J’entendais G. qui de sa voix mélodieuse me parlait pour me rassurer, mais je ne pouvais pas lui répondre. C’est certainement ce qui le décida à me bénir et à m’offrir le dernier sacrement. Ma voix ne sortait plus. J’ai compris que cette fois, elle ne sortirait plus jamais. Ma voix sur Terre s’éteignit à cet instant. Cela commençait ainsi. Elle m’avait déjà trahi, cependant cette fois, je compris que c’était définitif. Je ne mis plus aucune force à la faire changer d’avis. Je sentais que des parties de moi devenaient ainsi indépendantes de moi. Je voulais redire : mon Dieu que j’aime ! Je le dis sans voix. Du regard, G. me comprit. L’âme a des oreilles. G. s’agenouilla à l’instant où j’eus l’impression de glisser. Je me souvins de moi, enfant, glissant sur une mare d’eau glacée et me retrouvant sur les fesses, tournant sur moi-même. Mes yeux se fermèrent sur ce souvenir délicieux de maman et papa riant aux éclats de ma chute, mon bien cher frère riait lui aussi à leurs côtés, puis il m’aida à me relever. Mes chers parents qui m’avaient donné la vie à une époque difficile et qui, au prix de grands renoncements, m’avaient préparé par leur amour un merveilleux foyer.
Tout s’est fait très vite. J’ai quitté mon corps. J’ai compris que l’âme était le véritable je. Je sentais toujours mes membres. C’était étrange. J’ai senti quelqu’un venir. Tout allait très vite. Une personne approchait. Il m’était familier. Comment le savais-je ? C’était comme un nouveau sens qui précédait tous mes sens perdus. Je connaissais celui qui venait même si je ne voyais personne, d’ailleurs ma vue se brouillait, elle devenait confuse, mais je savais, je sentais que quelqu’un se tenait debout devant moi.

Lire la suite de “Benoît XVI au Paradis !”

Le souffle de l’Esprit à Warrington ! Une église renait !

La Fraternité à Warrington, par l’abbé Armand de Malleray, Recteur de l’église Sainte-Marie de Warrington

Rares sont les centres de messe traditionnelle qui ont commencé sans un noyau de paroissiens désireux de prier dans la forme traditionnelle. C’est pourtant ce qui s’est passé à Sainte Marie de Warrington, une ville moyenne située entre Liverpool et Manchester, au nord-ouest de l’Angleterre. Les moines bénédictins de l’abbaye d’Ampleforth avaient construit cette grande et belle église néo-gothique en 1870. Mais faute de vocations ils durent confier Sainte Marie au diocèse qui, pour la même raison, n’eut bientôt plus qu’une alternative : fermeture ou Fraternité Saint-Pierre. On pourrait synthétiser ainsi le choix offert par l’archevêque de Liverpool à ses ouailles : Eleison ou Morrison (Morrison est l’équivalent anglais des supermarchés Leclerc). Plutôt que de laisser leur belle église devenir un centre commercial (ou un centre d’escalade en intérieur comme c’est arrivé pour une autre église de la ville), les fidèles décidèrent d’essayer la Messe en latin. En 2015, la Fraternité Sacerdotale Saint-Pierre fut donc invitée à prendre la direction de cette église.

Dans ce cadre architectural majestueux, nous avons pu déployer la liturgie et le ministère traditionnels sans la moindre entrave. Comme l’ensemble des bâtiments nous appartient, et par approbation de l’archevêque local, l’intégralité du ministère s’accomplit selon les traditions liturgiques et disciplinaires décrites dans les Constitutions de la FSSP. Avant notre arrivée, et dans les premiers mois, plusieurs rencontres permirent aux paroissiens de poser des questions auxquelles nos prêtres répondirent, expliquant les raisons théologiques et spirituelles du latin, de la posture du prêtre tourné vers Dieu, de l’absence de ministres laïcs de la Sainte Communion etc. Environ trois quarts de la communauté sont restés. Depuis, beaucoup d’autres fidèles sont arrivés. Pour plusieurs, la première Semaine Sainte en 2016 fut une révélation. D’autres paroissiens ont dit découvrir la signification de l’architecture sacrée, convergeant vers le tabernacle, lorsque la vaste estrade avec table installées au milieu de la nef dans les années 1970 furent enlevées et le maître-autel reconstruit. Après environ 50 ans d’interruption, nous avons restauré la procession de la Fête-Dieu de Sainte Marie vers une église voisine. Tous les catholiques de la ville et d’ailleurs sont invités. Nous avons acheté un grand bâtiment adjacent pour en faire une petite école et une vaste salle paroissiale. A peu près 40 personnes assistent à la Sainte Messe chaque jour de semaine et 240 le dimanche. Les prêtres absolvent environ 85 pénitents par semaine et donnent beaucoup de temps pour la direction spirituelle.

L’archevêque de Liverpool nous a offert un soutien sans faille. Par deux fois, il a ordonné nos prêtres dans notre église. Il fut le premier évêque anglais à ordonner dans la forme traditionnelle depuis 1970. Chaque année, il confère le sacrement de Confirmation. Sans pour autant partager le point de vue de notre Fraternité sur un certain nombre de questions pastorales et dogmatiques, notre archevêque est heureux de voir une communauté de fidèles croître de façon sereine. Alors qu’il enterre bien plus de prêtres qu’il n’en ordonne, et ferme les églises au lieu d’en construire, le pasteur de cet archidiocèse soutient généreusement notre petite communauté à cause des fruits manifestes que Dieu produit en elle. Chaque année des convertis rejoignent l’Eglise, des jeunes se marient et d’autres embrassent la vie consacrée. Les fidèles prient souvent pour les vocations, soit lors de Messes votives pour les Vocations, soit selon la Prière de la Confraternité Saint-Pierre. Leur clergé leur rappelle que leurs prières et leurs sacrifices sont essentiels pour obtenir de Dieu les prêtres de demain, permettant d’offrir à d’autres paroisses l’occasion d’un rebond salvateur comme celui de Sainte Marie de Warrington. Ô Dieu, donnez-nous beaucoup de saints prêtres !

 

Prière de l’artisan

Prière monastique du XIIe siècle
Apprends-moi, Seigneur, à bien user du temps que tu me donnes pour travailler…
Apprends-moi à unir la hâte et la lenteur, la sérénité et la ferveur, le zèle et la paix. Aide-moi au départ de l’ouvrage. Aide-moi au cœur du labeur… Et surtout comble toi-même les vides de mon oeuvre : Seigneur, dans tout labeur de mes mains laisse une grâce de Toi pour parler aux autres et un défaut de moi pour parler moi-même.

Garde en moi l’espérance de la perfection, sans quoi je perdrais cœur. Garde-moi dans l’impuissance de la perfection, sans quoi je me perdrais d’orgueil…

Seigneur, ne me laisse jamais oublier que tout travail est vide sauf là où il y a amour…

Seigneur, enseigne-moi à prier avec mes mains, mes bras et toutes mes forces. Rappelle-moi que l’ouvrage de mes mains t’appartient et qu’il m’appartient de te le rendre en le donnant… Que si je fais pour plaire aux autres, comme la fleur de l’herbe je fanerai au soir. Mais si je fais pour l’amour du bien, je demeurerai dans le bien. Et le temps de faire bien et à ta gloire, c’est tout de suite.

Amen

Antigone, insoumise et intime (2/7. Les funérailles)

IMG_0959-1024x768

2ème partie : Les funérailles

— « Ma bien chère Ismène. Je viens ce matin te dire que je me suis occupée de tout. J’ai pris les mêmes pompes funèbres pour nos deux frères. Je ne pouvais pas choisir et comme nos frères n’ont pas laisser de dernières volontés, j’ai pris les choses en main pour que ce soit réglé au plus vite. J’ai tout de même commandé un thanatopracteur afin qu’ils soient présentables. Si tu veux aller les voir, ils seront prêts vers 15 heures. Tu n’es pas obligée. Enfin, si tu peux prendre dix minutes, ça peut être bien. Il vaut peut-être mieux garder une image d’eux heureux, enfants par exemple. J’ai pris le même modèle d’urne pour les deux. Un prêtre viendra au funérarium et fera un petit laïus avant la crémation. J’ai commandé sa venue aux pompes funèbres. Tu vois, je me suis occupée de tout. Etéocle sera enterré au cimetière qui est situé à une trentaine de minutes de Thèbes en prenant la nationale. Pour Polynice, c’est plus compliqué avec la loi de notre oncle, Créon. J’ai décidé de répandre ses cendres sur le champ de bataille comme le roi ne veut pas qu’il soit enterré. Ça fait sens, non ? Dis-moi ce que tu en penses, je ne suis pas arrêté sur ce point. » Ce portrait d’Antigone vivant au XXIe siècle livrant les dépouilles de ses frères au chargé des pompes funèbres résume le rite des funérailles de nos jours. La famille a été depuis la Révolution industrielle rendue improductive. Les funérailles ne s’inscrivent guère plus dans la tradition familiale. Le monde moderne se rassérène en employant la formule faire sens, comme la traduction de l’expression anglo-saxonne se fait entendre de nos jours, et comme il est si réconfortant de se le répéter sans que cela ait vraiment de… sens, car qu’est-ce que ces mini-sens trouvés sur le sol presque par hasard, qu’est-ce que ces sens peau de chagrin qui s’invitent sans qu’on n’y soit pour rien ou presque, sinon les résidus d’un sens passé, d’un sens commun, d’un bon sens sculpté par les siècles ? À travers la destruction de la famille, la transmission entre les générations fait défaut, le sens de nos actes se perd, il faut donc inventer du sens, il faut fabriquer du sens, il faut se donner l’illusion de vivre encore, de ne pas avoir totalement abdiqué. La supercherie s’adosse à l’ignorance, et sur ce point aussi, la filouterie ne date pas d’un jour. Le sens donné par la mort au sein de la famille, ce sens presque totalement oublié de nos jours, est rappelé par Antigone dans la pièce de Sophocle où elle se dresse comme une gardienne des valeurs qui libèrent, car elles protègent l’homme de l’animal. Antigone réaffirme ce que l’homme peut et ne peut pas ; elle s’empare d’une force destinée à nous protéger de notre volonté de puissance et à nous apprendre le temps des responsabilités ; un temps de nos jours confié à des spécialistes certifiés remplaçant de la famille, des personnes qui la composent et des liens ténus tissés entre elles par le temps.

Lire la suite de “Antigone, insoumise et intime (2/7. Les funérailles)”

Antigone, insoumise et intime (1/7. La famille)

antigone-900x599

1ère partie : la famille

Dès la première lecture d’Antigone, une ambiguïté s’installe dans l’esprit du lecteur. Antigone incarne-t-elle l’action ou la réaction ? Qu’est-ce qui meut Antigone ? La réaction n’existe jamais par elle-même alors que l’action n’a besoin de personne, elle se légitime dans l’acte. L’action inaugure toujours quelque chose. À la différence de ce qui est souvent dit ou cru, Antigone n’attend pas Créon pour être Antigone. À l’instar d’Electre pour la vengeance, de Nausicaa pour l’accueil, de Pénélope pour la fidélité, Antigone incarne le devoir. Elle est action, car elle sert : elle s’accomplit dans le devoir. Elle s’accomplit dans la servitude (feindrait-on d’oublier que servitude signifie « être esclave » ?). À la différence de ce qui est souvent dit ou cru, Antigone n’est jamais un individu. Elle ne se dresse jamais seule. Si la loi de Créon la pousse à l’action, et si celle-ci peut paraître une réaction, c’est seulement en surface, par simple chronologie.

Lire la suite de “Antigone, insoumise et intime (1/7. La famille)”

A quels saints se vouer ?


L’affaire Marcial Maciel nous impose de poser la question du Mal. Notre époque évite de s’y frotter. Que savons-nous de l’œuvre du diable et que pouvons-nous faire pour nous en protéger ? Après avoir tenté d’occulter le bien de la vie, faut-il s’étonner que le mal se montre au grand jour ? Les œuvres du démon sont innombrables, mais l’Esprit-Saint peut tout, notamment les transformer.

Il fallait avoir la faconde de Léon Bloy pour affirmer : « Il n’y a qu’une seule tristesse, celle de ne pas être saint ». Cette question entêtante de la sainteté revient toujours comme une saison qui ne passe pas. Il existe beaucoup de choses dont nous pouvons nous débarrasser, mais jamais la question de la sainteté n’en fait partie. Elle nous est consubstantielle. Dès que nous voyons ou assistons à quelque chose de juste ou d’injuste, quelque chose relevant du bien ou du mal, nous cheminons sur la voie de la sainteté. Que ce soit vers elle ou contre elle. Il faut beaucoup de temps pour se rendre compte à quel point la question de la sainteté nous est consubstantielle. Nous sommes saints, nous sommes un temple, nous sommes partis de l’Église qui est sainte, nous sommes à l’image de Dieu qui est Saint, et pourtant nous nous ébrouons, nous tombons, nous peinons, nous nous évertuons… Si peu de résultats pour tant de promesses. C’est que la condition de saint demande quantité d’efforts et donne peu de résultats visibles.
Lire la suite de “A quels saints se vouer ?”