Le révolutionnaire et le pardon

Le révolutionnaire n’a aucune appétence pour le pardon, car il déteste le don qui lui semble suspect et l’autre avec qui il aurait pu sceller l’avenir.

Pour le révolutionnaire, mû par l’envie, la seule forme de pardon qui lui est propre passe par l’humiliation ou la mort de son opposant afin de célébrer sa victoire méritée sur un nanti.

Faute d’origine

Malgré les doutes de Shûsaku Endo quant à la vraie christianité des Japonais évoquée dans l’admirable « Silence », il m’apparaît aussi que le Japonais a un vrai point commun fondamental avec le chrétien dans la facilité qu’il a à se mettre à la place de l’autre. N’est-ce pas là l’un des socles fondateurs du christianisme, l’un de ces archétypes du Discours sur la Montage, que de toujours penser que notre effort n’a pas été assez important, assez prononcé, pour que l’entente émerge ? Je vois bien sûr la faiblesse du raisonnement : le Japonais essaie inlassablement de se mettre à la place de l’autre culturellement ; il désire aussi mieux se faire comprendre ; il ne connaît pas la culpabilité, mais la honte… Le chrétien doit se mettre à la place de l’autre parce qu’il pense que la faute vient de lui, ce qui ne veut pas dire qu’il a commis la faute, mais plutôt que le manque d’attention à l’autre l’a poussé à ne pas assez travailler à prévenir la faute.

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Revue de livres sur le Japon

Je viens de finir de lire « Le Masque du Samourai », un essai de Aude Fieschi (Éditions Philippe Picquier). C’est un livre didactique, bien écrit, qui présente les différentes facettes du Samourai à travers le Moyen-Age japonais jusqu’à sa déchéance avec l’avènement du Japon moderne.

Philia, agapê et autres petites choses…

Les Grecs utilisaient trois mots pour désigner l’amour : l’éros, l’amour charnel, la philia, l’amitié, et l’agapê, l’amour abouti et mature. 

L’amour est-il seulement là pour nous réconforter ? Ne doit-on pas chercher à donner du sens à l’amour comme à chaque événement de la vie ? Seul le sens sauve la condition humaine. Le sens… La grande question. L’incontournable question. Rien ne vaut d’être vécu en l’absence de sens. Le sens est la grande question de l’homme d’autant qu’il n’y comprend rien et n’en maîtrise rien. Comme souvent l’homme maîtrise d’autant moins qu’il s’époumone à croire le contraire. Un amour dont le sens est absent restera un éros. Il est possible de répondre qu’éros aussi donne du sens :  les caresses, les baisers, les corps qui s’emboîtent sont une découverte de l’autre. Si l’éros grec relève le plus souvent du rapt, de la possession, il serait faux de l’y résumer. Les frontières entre les trois amours peuvent être fines. Notre époque aime à relativiser ces frontières. La transgression guette le moindre de nos pas ; ou de nos faux-pas.

Le sens de l’amour nous surpasse, et nous élève. Dieu nous donne Son fils et Le fait mourir sur la croix dans le seul but de donner un sens à nos vies. Il extirpe le pêché en le révélant au grand jour. Il désigne l’amour comme seule alternative au mal. Et l’on doit se souvenir encore de saint Paul :

Quand je parlerais en langues, celle des hommes et celle des anges, s’il me manque l’amour, je suis un métal qui résonne, une cymbale retentissante.

Quand j’aurais le don de prophétie, la science de tous les mystères et de toute la connaissance, quand j’aurais la foi la plus totale, celle qui transporte les montagnes, s’il me manque l’amour, je ne suis rien.

Quand je distribuerais tous mes biens aux affamés, quand je livrerais mon corps aux flammes, s’il me manque l’amour, je n’y gagne rien.

L’amour prend patience, l’amour rend service, il ne jalouse pas, il ne plastronne pas, il ne s’enfle pas d’orgueil, il ne fait rien de laid, il ne cherche pas son intérêt, il ne s’irrite pas, il n’entretient pas de rancune, il ne se réjouit pas de l’injustice, mais il trouve sa joie dans la vérité.

Il excuse tout, il croit tout, il espère tout, il endure tout.

L’amour ne disparaît jamais.

Les prophéties ? Elles seront abolies.

Les langues ? Elles prendront fin.

La connaissance ? Elle sera abolie.

Car notre connaissance est limitée et limitée notre prophétie. Mais quand viendra la perfection, ce qui est limité sera aboli.

Lorsque j’étais enfant, je parlais comme un enfant, je pensais comme un enfant, je raisonnais comme un enfant. Devenu homme, j’ai mis fin à ce qui était propre à l’enfant.

À présent, nous voyons comme dans un miroir et de façon confuse, mais alors ce sera face à face.

À présent, ma connaissance est limitée, mais alors je connaîtrai comme je suis connu.

Maintenant donc ces trois-là demeurent, la foi, l’espérance et l’amour, mais l’amour est le plus grand.(1)

On voit que l’agapê trône au sommet de l’amour. L’agapê est cette fin ultime, comme sens véritable de l’amour. À lire saint Paul, on s’aperçoit aussi que l’amitié est tout entier contenu dans l’amour. La philia peut être pensée seule, mais sa finalité chrétienne est de devenir un agapê. On comprend aussi que son échec sera de ne pas réussir cette transformation. Imaginons une philia entre un homme et une femme : il y a toujours un risque de séduction. Qu’est-ce qu’une philia s’abandonnant dans l’éros ?

On notera enfin que l’agapê est un amour dénué de séduction. Il n’utilise pas de “trucs”, d’artifices. Évidemment ceux-là sont laissés au Prince de ce monde.

Une nouvelle amitié, c’est un monde révélé qui s’étend à nos pieds. Quel réflexe avons-nous ? Face à un monde qui s’étend à nos pieds. En sommes-nous responsables (de respondere, en répondons-nous) ? Avons-nous fait quelque chose pour mériter ce nouvel amour ? Non, nous n’avons rien fait. Si peu de sens est sorti de nos gestes quotidiens. Notre premier réflexe est souvent de fouler ce monde aux pieds, car immédiatement face à la beauté nous pensons à nous l’approprier. Voilà l’homme. Ce qui est beau, ce qui est mieux, ce qui nous dépasse, doit nous appartenir. Pas Dieu. Non, pas Dieu. Car l’homme moderne a arrêté de croire en Dieu. Trop grand, trop fort, pas le temps pour ces foutaises qu’il ne peut s’approprier. Ce qui le dépasse ne mérite que possession ou mépris.  Il faut aller toujours plus vite. On n’a pas le temps. Si l’on ne peut posséder, si l’on ne peut jouir, on méprise. On comprend aisément dès lors la popularité d’éros.

À toutes les créatures, il manque quelque chose, et non point seulement de n’être pas créateur.

À celles qui sont charnelles, nous le savons, il manque d’êtres pures.

Mais à celles qui sont pures, il faut le savoir, il manque d’être charnelles.(2)

Alors ce monde qui frappe à la porte ? S’il se donne, on le domine. S’il se donne, on le possède. Il y a là résumé notre suffisance vis-à-vis de l’Autre. Parce qu’il n’y a pas de lieu plus égalitaire que l’amour. L’amour est vérité et tout le monde est égal face à la vérité.

De nombreuses amitiés défaillissent après quelque temps. Dans la majorité des cas, cette défaillance se révèle dès que l’une ou les deux parties s’enorgueillissent. Dès que l’une ou les deux parties veulent posséder, ou se confortent dans un sourd sentiment de supériorité. Dès que l’une ou les deux parties adoptent une position paternaliste il n’y a plus d’écoute. Dès qu’il ne peut plus y avoir de véritable écoute, dès qu’elle est soumise à un jugement de valeur, une hiérarchie invisible et non-dite, mais pleine et entière, s’installe. Il n’y a plus le minimum requis pour se parler et s’entendre. La parole ne fait plus sens.

1- On sait aussi que l’on peut dans cette offrande de saint Paul remplacer le mot amour par le nom de Jésus. On se plaira à réciter ces stances ainsi et de s’en imprégner.

Traduction de l’auteur de la Première Épitre aux Corinthiens de Saint Paul (1 Co 13, 1).

2- Péguy, Le Porche du Mystère de la deuxième vertu.

Leçons de Haïkus

Pour écrire un haïku, il faut impérativement respecter quatre qualités :

  • Sabi : la simplicité et la conscience du temps qui passe et qui altère les choses et les êtres
  • Sh?ri : la capacité à suggérer l’amour des choses humbles
  • Hosomi : la découverte de la beauté du quotidien
  • Karumi : l’humour qui allège la gravité des choses

Oshio Heihachiro, samouraï de la rébellion

Pour bien comprendre les actes d’Oshio Heihachiro, il faut bien comprendre qu’ils sont dictés par un caractère et par une volonté anti-révolutionnaires. Rien dans l’attitude d’Oshio Heihachiro ne souhaite remettre en cause l’ordre établi. Oshio Heichachiro sait le système perfectible, mais aussi fonctionnel. Ce qui rend le système moins performant tient plus aux hommes qu’au système lui-même.

La colère d’Oshio est dirigée vers les hommes, vers ce qui corrompt le système.

Laisser croire qu’un ver dans le fruit est la cause de tous les maux, c’est la philosophie qui a toujours accompagné nos révolutions. Qui veut noyer son chien l’accuse de la rage…

Il y a une arrogance occidentale qui croit que l’homme est infaillible. Cette arrogance occidentale a constitué et continue de constituer l’essence de son caractère antitraditionnel ; et constitue un terreau toujours meuble pour la volonté derrière la société égalitariste.

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