Quel est le problème avec la messe de Paul VI  ?

Il y a maintenant plus de cinquante ans, l’Église catholique se dotait d’une nouvelle messe qui rompait d’une manière encore jamais vue avec la tradition de l’Ėglise. Les réformateurs n’avaient cependant pas prévu que la messe traditionnelle leur perdure. Ils étaient même persuadés du contraire. Et ils utilisèrent tous les moyens en leur possession pour arriver à leurs fins : la suppression de la messe romaine traditionnelle1 Pourtant, force est de constater que cette messe continue d’attirer de nombreux fidèles, et parmi eux, des jeunes gens qui s’engagent, comme priants, comme séminaristes, à célébrer et à faire vivre cette forme du rite romain. Ces derniers sont souvent accusés d’être des fauteurs de trouble, des nostalgiques, des identitaires, et surtout, crime de lèse-majesté, d’être contre le Concile Vatican II, que l’on ne sépare plus de son propre esprit ; cet esprit du concile dont on se repaît sans jamais vraiment le qualifier, comme pour à peu près toutes les choses importantes. Dans l’Église comme ailleurs, les progressistes agissent en essentialisant leurs contradicteurs afin de les discréditer. La liturgie est le sommet et la source de la vie de l’Église comme le rappelle le dernier concile, et la liturgie est tradition. Pour dénouer la crise de la liturgie qu’elle porte en son sein, l’Église devra retisser les fils de la tradition abimée et blessée, même et surtout, si l’époque la presse de n’en rien faire.

Quel Vatican II ?

« Le nouvel Ordo Missae, si l’on considère les éléments nouveaux, susceptibles d’appréciations fort diverses, qui y paraissent sous-entendues ou impliquées, s’éloigne de façon impressionnante, dans l’ensemble comme dans le détail, de la théologie catholique de la Sainte Messe, telle qu’elle a été formulée à la XXIIe session du Concile de Trente, lequel, en fixant définitivement les “canons” du rite, éleva une barrière infranchissable contre toute hérésie qui pourrait porter atteinte à l’intégrité du Mystère »2 Le cardinal Ottaviani, préfet émérite de la Congrégation pour la Doctrine de la foi s’adressait ainsi le 3 septembre 1969 à Paul VI, nous étions à quelques semaines de l’entrée en vigueur de la nouvelle messe. Cela concluait d’une certaine façon, le Concile Vatican II qui avait pourtant fermé ses portes depuis quatre ans  ! Attardons-nous un peu sur la figure de cardinal Alfredo Ottaviani : fils de boulanger, issue des quartiers pauvres de Rome, il se révèle un très bon élève au séminaire pontifical romain, et obtient trois doctorats, en théologie, en philosophie et en droit canon. Secrétaire du Saint-Office, puis propréfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi, il travailla les quatre années précédent le concile à préparer les thèmes à traiter et prononcera l’habemus papam pour l’élection de Jean XXIII. Ce mois d’octobre 1962 verra les masques tomber et les prises de position, progressistes ou modernistes, s’afficher. Jean XXIII, dans son discours d’ouverture du Concile, affichera un certain mépris pour l’équipe curiale de Pie XII en déclarant : « L’Épouse du Christ préfère recourir au remède de la miséricorde, plutôt que de brandir les armes de la sévérité. Elle estime que, plutôt que de condamner, elle répond mieux aux besoins de notre époque, en mettant davantage en valeur les richesses de sa doctrine. »3 Il y a dans cette phrase une dichotomie qui inaugure et préfigure tout le Concile Vatican II : peut-il y avoir miséricorde s’il n’y a pas condamnation d’un acte ? Pourquoi y aurait-il remède s’il n’y a auparavant blessure ? Ne voyait-on la volonté de mettre le péché sous le tapis comme une poussière incommodante ? Le ton employé où la mansuétude s’affirme comme autorité suprême deviendra le leitmotiv du Concile Vatican II. Dès lors une fronde s’organise. On rejette les textes préparés par la curie. Notamment De fontibus revelationis, sur les sources de la révélation, et le De Ecclesia. Il fallait une majorité absolue pour entériner ce rejet, Jean XXIII donna son accord et se contenta de la majorité relative. « Ainsi fut réalisé un véritable coup d’État, par lequel l’ensemble des tendances libérales, en train de s’organiser en “majorité conciliaire”, ravirent le pouvoir doctrinal à la Curie héritée de Pie XII. » 4. On commença dès lors, et puisque les textes de travail avaient été foulés aux pieds et mis au rebut, de travailler à la liturgie. On pensait le sujet rassembleur. Les progressistes avaient comme à leur habitude un agenda, ce que les conservateurs n’ont presque jamais. Le cardinal Ottaviani, le 30 octobre 1962, prit la parole, il n’était pas encore aveugle et allait faire preuve de clairvoyance, il demanda qu’on ne traitât pas le rite de la messe « comme un morceau de tissu qu’on remet à la mode selon la fantaisie de chaque génération ». Il sembla à l’assistance qu’il était trop long dans son développement. Il fut interrompu sans égard à son rang. On coupa son micro sous les applaudissements d’un grand nombre de Pères. Le Concile Vatican II pouvait commencer.

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Lettre au Pape François au sujet de la messe

Préambule
Cette lettre au Pape François a été d’abord écrite pour La Voie Romaine 1 afin de rendre témoignage de la beauté et de l’efficacité du rite traditionnel romain et de témoigner du choc causé par le motu proprio, Traditionis custodes, publié le 16 juillet 2021 par le Pape François.

Saint Père,
Je m’extirpais d’un terrible cauchemar : j’ai rêvé que vous limitiez l’accès à la liturgie traditionnelle, j’ai dès lors pensé qu’il était important de vous révéler combien la messe de saint Pie V a marqué mon existence sans que j’y sois préparé le moins du monde. Savez-vous qu’il m’est difficile d’écrire Saint-Père, car je n’ai pas eu de père. J’en ai un, comme tout un chacun, mais, je ne l’ai pas eu quand j’aurais dû l’avoir. Ainsi, il m’a abandonné avant que je naisse. Je l’ai retrouvé, plus tard, mais vous comprenez que je ne l’ai pas eu au bon moment. Je n’ai pas eu les bons moments qu’un enfant connaît avec son père. Je ne l’ai pas connu lorsque le besoin s’en faisait sentir, et le besoin s’en faisait sentir à tout moment puisque l’absence le créait Je n’ai pas eu de père pour me guider, comme un tuteur, pour partager mes goûts et mes dégoûts, pour épouser mes vues ou les infléchir.

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Le souffle de l’Esprit à Warrington ! Une église renait !

La Fraternité à Warrington, par l’abbé Armand de Malleray, Recteur de l’église Sainte-Marie de Warrington

Rares sont les centres de messe traditionnelle qui ont commencé sans un noyau de paroissiens désireux de prier dans la forme traditionnelle. C’est pourtant ce qui s’est passé à Sainte Marie de Warrington, une ville moyenne située entre Liverpool et Manchester, au nord-ouest de l’Angleterre. Les moines bénédictins de l’abbaye d’Ampleforth avaient construit cette grande et belle église néo-gothique en 1870. Mais faute de vocations ils durent confier Sainte Marie au diocèse qui, pour la même raison, n’eut bientôt plus qu’une alternative : fermeture ou Fraternité Saint-Pierre. On pourrait synthétiser ainsi le choix offert par l’archevêque de Liverpool à ses ouailles : Eleison ou Morrison (Morrison est l’équivalent anglais des supermarchés Leclerc). Plutôt que de laisser leur belle église devenir un centre commercial (ou un centre d’escalade en intérieur comme c’est arrivé pour une autre église de la ville), les fidèles décidèrent d’essayer la Messe en latin. En 2015, la Fraternité Sacerdotale Saint-Pierre fut donc invitée à prendre la direction de cette église.

Dans ce cadre architectural majestueux, nous avons pu déployer la liturgie et le ministère traditionnels sans la moindre entrave. Comme l’ensemble des bâtiments nous appartient, et par approbation de l’archevêque local, l’intégralité du ministère s’accomplit selon les traditions liturgiques et disciplinaires décrites dans les Constitutions de la FSSP. Avant notre arrivée, et dans les premiers mois, plusieurs rencontres permirent aux paroissiens de poser des questions auxquelles nos prêtres répondirent, expliquant les raisons théologiques et spirituelles du latin, de la posture du prêtre tourné vers Dieu, de l’absence de ministres laïcs de la Sainte Communion etc. Environ trois quarts de la communauté sont restés. Depuis, beaucoup d’autres fidèles sont arrivés. Pour plusieurs, la première Semaine Sainte en 2016 fut une révélation. D’autres paroissiens ont dit découvrir la signification de l’architecture sacrée, convergeant vers le tabernacle, lorsque la vaste estrade avec table installées au milieu de la nef dans les années 1970 furent enlevées et le maître-autel reconstruit. Après environ 50 ans d’interruption, nous avons restauré la procession de la Fête-Dieu de Sainte Marie vers une église voisine. Tous les catholiques de la ville et d’ailleurs sont invités. Nous avons acheté un grand bâtiment adjacent pour en faire une petite école et une vaste salle paroissiale. A peu près 40 personnes assistent à la Sainte Messe chaque jour de semaine et 240 le dimanche. Les prêtres absolvent environ 85 pénitents par semaine et donnent beaucoup de temps pour la direction spirituelle.

L’archevêque de Liverpool nous a offert un soutien sans faille. Par deux fois, il a ordonné nos prêtres dans notre église. Il fut le premier évêque anglais à ordonner dans la forme traditionnelle depuis 1970. Chaque année, il confère le sacrement de Confirmation. Sans pour autant partager le point de vue de notre Fraternité sur un certain nombre de questions pastorales et dogmatiques, notre archevêque est heureux de voir une communauté de fidèles croître de façon sereine. Alors qu’il enterre bien plus de prêtres qu’il n’en ordonne, et ferme les églises au lieu d’en construire, le pasteur de cet archidiocèse soutient généreusement notre petite communauté à cause des fruits manifestes que Dieu produit en elle. Chaque année des convertis rejoignent l’Eglise, des jeunes se marient et d’autres embrassent la vie consacrée. Les fidèles prient souvent pour les vocations, soit lors de Messes votives pour les Vocations, soit selon la Prière de la Confraternité Saint-Pierre. Leur clergé leur rappelle que leurs prières et leurs sacrifices sont essentiels pour obtenir de Dieu les prêtres de demain, permettant d’offrir à d’autres paroisses l’occasion d’un rebond salvateur comme celui de Sainte Marie de Warrington. Ô Dieu, donnez-nous beaucoup de saints prêtres !

 

Apprendre le chant grégorien

C’était en juin 1985, à Pont-à-Mousson, à la fin du colloque “Musiques dans l’Eglise d’aujourd’hui”. Maurice Fleuret — en paix soit son âme —, le magnifique directeur de la musique et de la danse du ministre Jack Lang, prit la parole. Parole de feu. De supplication ; on peut le dire, puisque lui-même supplia. Je le citerai ad sensum, mais ce mot je ne l’ai jamais oublié : il est de lui. Evoquant ce que la musique occidentale, depuis les origines jusqu’à nos jours, devait à l’Eglise, à la liturgie de l’Eglise, ce que devait à la musique de l’Eglise la musique de Monteverdi, de Bach, de Mozart, de Beethoven, de Stravinski, de Messiaen : tout. A la musique liturgique de l’Eglise, la musique occidentale devait tout, dit-il. Et lui-même, Maurice Fleuret, dans sa propre vie de musicien, à la musique de l’Eglise, que devait-il ? Tout. Il lui devait tout, dit-il. Et cette musique occidentale qui devait tout à l’Eglise, à la liturgie de l’Eglise, que devait-elle au chant grégorien ? Tout, dit-il. Au chant grégorien, toute la musique occidentale, dit-il, devait tout. Mais l’Esprit du chant grégorien, dit-il, cet esprit dont il ne pouvait imaginer qu’il cessât de souffler, où se respirait-il ? Dans la liturgie, dit-il. Et c’est à ce moment qu’il supplia l’Eglise… : Je vous en supplie, s’exclama-t-il, à l’intention des ecclésiastiques présents, ne laissez pas à l’Etat le monopole du chant grégorien. Il est fait pour la liturgie. Et c’est dans la liturgie qu’il faut le pratiquer.”

Même si le grégorien est moins chanté (quand Vatican II le recommandait comme chant majeur de la liturgie, allez comprendre), il reste le trésor de l’Europe. Maurice Fleuret, élève d’Olivier Messiaen et ministre de Jack Lang, le rappelait justement ci-dessus. Le grégorien a été omis par ceux qui le promulguaient, il est donc difficile d’y voir clair. Ceux qui se donnent du temps pour aller en retraite dans les monastères ou qui, par goût, écoutent du chant grégorien savent qu’il emporte l’adhésion des croyants et des non croyants. Le grégorien s’avère inclassable. Enraciné et lointain, puissant et délicat, humble et solennel, fragile et vigoureux. Le frère Toussaint, ancien moine de l’abbaye sainte Madeleine du Barroux, maintenant ermite, vous propose des cours de grégorien à la carte et quelque soit votre niveau. C’est un excellent professeur, et je peux en attester !

Le frère Toussaint vous propose des formules très souples. Vous pouvez suivre les cours à distance ou venir sur place (l’ermitage saint-Bède est situé entre Lyon et Grenoble). Pour l’instant, il ne peut encore héberger personne même si à terme il souhaiterait bâtir une petite hôtellerie pour recevoir des hôtes… Il existe des logements guère éloignés de l’ermitage. Qui a connu le Barroux à ses débuts connaît le désir secret mais avoué du frère Toussaint de recréer cet ambiance unique et de recevoir quelques hôtes pour les immerger dans la prière quasi-perpétuelle. Dans l’immédiat, il est de bon aloi de commencer par apprendre à chanter, ce qui laisse le temps au frère Toussaint de trouver les fonds pour augmenter sa structure (les mécènes sont ici bienvenus !). Les tarifs sont dégressifs si vous venez à plusieurs. Une heure, trois jours, toutes les formules sont possibles. Le frère Toussaint sortira avec plaisir de son érémitisme pour vous enseigner l’art du chant grégorien.

Renseignements : Apprendre le chant grégorien avec un moine bénédictin

Réservations : https://frere-toussaint.reservio.com/

Et le site complet où vous pouvez découvrir les articles du frère Toussaint sur l’érémitisme : https://www.ermites-saint-benoit.com/

La pompe par Clive Staples Lewis

« En premier lieu, il faut vous débarrasser de cette idée nauséabonde, fruit d’un manifeste complexe d’infériorité et d’un esprit mondain, que la pompe, dans les circonstances appropriées, a quoique ce soit en commun avec la vanité ou la suffisance. Un officiant qui approche solennellement de l’autel pour célébrer, une princesse conduite par son roi dans un noble et délicat menuet, un officier supérieur passant en revue les troupes honorées lors d’une prise d’arme, un majordome en livré apportant un met fastueux à un banquet de Noël — tous portent des habits non usuels et se déplacent avec une dignité calculée et impeccable. Cela ne signifie en rien que leurs gestes sont vains, bien plutôt dociles ; leurs gestes obéissent à un impératif qui préside chaque solennité. L’habitude moderne de pratiquer des cérémonies sans aucune étiquette n’est pas une preuve d’humilité ; elle prouve plutôt l’inaptitude du célébrant impuissant à s’oublier dans le service, et sa promptitude à bâcler et gâcher le plaisir propre au rituel de placer la beauté au centre du monde et de la lui rendre accessible. »

Traduction libre de l’auteur du blogue.

Lauda Sion

Magnifique séquence dans la messe de la Fête-Dieu, écrite par Saint Thomas d’Aquin, cette poésie dogmatique loue la nouvelle et véritable Sion, l’Eglise. Benoit XVI disait de cette messe : “Ce sont des textes qui font vibrer les ondes du coeur, alors que l’intelligence, pénétrant avec émerveillement dans le mystère, reconnaît dans l’Eucharistie la présence vivante et véritable de Jésus, de son Sacrifice d’amour qui nous réconcilie avec le Père et nous donne le salut.”

Loue, Sion, ton sauveur, loue ton chef et ton pasteur, par des hymnes et des cantiques.
Autant que tu le peux, ose le chanter, car il dépasse toute louange, et tu ne suffis pas à le louer.
Un sujet spécial de louange nous est proposé aujourd’hui : c’est le pain vivant et vivifiant.
Le pain qu’au repas de la Sainte Cène, Jésus donna réellement à la troupe des douze frères.
Que la louange soit pleine et sonore ; qu’elle soit joyeuse et belle, la jubilation de l’âme.
Car c’est aujourd’hui la solennité qui rappelle la première institution de cette Cène.
À cette table du nouveau Roi, la nouvelle Pâque de la nouvelle loi met fin à la Pâque antique.
Le rite ancien est chassé par le nouveau, l’ombre par la vérité ; la lumière dissipe la nuit.
Ce que fit le Christ à la Cène, il a ordonné de le faire en mémoire de lui.
Instruits par ses ordres saints, nous consacrons le pain et le vin en l’hostie du salut.
C’est un dogme donné aux chrétiens que le pain devient chair et le vin devient sens.
Ce que vous ne comprenez ni ne voyez, la foi vive l’atteste contre le cours des choses.
Sous des apparences diverses, simples signes et non réalités, se cachent des réalités sublimes.
La chair est nourriture, le sang boisson ; cependant le Christ demeure entier sur l’une et l’autre espèce.
Par qui le reçoit, il n’est pas rompu ni brisé ni divisé, mais reçu tout entier.
Un seul le reçoit, mille le reçoivent : chacun autant que les autres ; pris en nourriture, il n’est pas détruit.
Les bons le prennent, les méchants le prennent, mais pour un sort différent : La vie ou la mort !
Mort pour les méchants, vie pour les bons : voyez combien d’une même prise l’issue est différente.
Si enfin le sacrement est rompu, ne vous troublez pas, mais souvenez-vous qu’il y a sous chaque parcelle autant qu’en recouvre le tout.
Aucune scission de la réalité ne se produit : du signe seul il y a rupture, et elle ne diminue ni l’état ni la grandeur de la réalité signifiée.
Voici le pain des anges devenu l’aliment des voyageurs : c’est vraiment le pain des enfants, qui ne doit pas être jeté au chien.
D’avance il est signifié par des figures : l’immolation d’Isaac, l’agneau mise à part pour la pâque, la manne donnée à nos pères.
Bon Pasteur, pain véritable, Jesus, ayez pitié de nous : nourrissez-nous, gardez-nous, faites-nous voir les vrais bien dans la terre des vivants.
Vous qui savez et pouvez tout, qui nourrissez ici-bas les mortels que nous sommes : faites là-haut de nous vos commensaux, les cohéritiers et les compagnons des saints citoyens du ciel.

Bonheur de Pentecôte

L’un des bonheurs de l’octave de Pentecôte tient en la récitation du Veni, Sancte Spiritus, après la récitation du Victimae Paschali la semaine de Pâques, la liturgie ne cesse de nous émerveiller.

Venez, Esprit Saint,

Et envoyez du haut du ciel

Un rayon de votre lumière.

Venez, père des pauvres,

Venez, dispensateur des dons,

Venez, lumière des coeurs.

Consolateur très bon,

Doux hôte de l’âme,

Doux rafraîchissement.

Repos dans le travail,

Soulagement dans les chaleurs,

Consolation dans les larmes.

Ô bienheureuse lumière,

Remplissez jusqu’au plus intime

Les coeurs de vos fidèles.

Sans votre divin secours,

Il n’est rien en l’homme,

Il n’est rien d’innocent.

Lavez ce qui est souillé,


Arrosez ce qui est aride,

Guérissez ce qui est blessé.

Assouplissez ce qui est raide,

Réchauffez ce qui est froid,

Redressez ce qui est faussé.

Donnez à vos fidèles

Qui se confient en vous,

Les sept dons sacrés.

Donnez le mérite de la vertu,

Donnez le salut final,

Donnez la joie éternelle.

Ainsi soit-il. Alléluia.

Prière de l’artisan

Prière monastique du XIIe siècle
Apprends-moi, Seigneur, à bien user du temps que tu me donnes pour travailler…
Apprends-moi à unir la hâte et la lenteur, la sérénité et la ferveur, le zèle et la paix. Aide-moi au départ de l’ouvrage. Aide-moi au cœur du labeur… Et surtout comble toi-même les vides de mon oeuvre : Seigneur, dans tout labeur de mes mains laisse une grâce de Toi pour parler aux autres et un défaut de moi pour parler moi-même.

Garde en moi l’espérance de la perfection, sans quoi je perdrais cœur. Garde-moi dans l’impuissance de la perfection, sans quoi je me perdrais d’orgueil…

Seigneur, ne me laisse jamais oublier que tout travail est vide sauf là où il y a amour…

Seigneur, enseigne-moi à prier avec mes mains, mes bras et toutes mes forces. Rappelle-moi que l’ouvrage de mes mains t’appartient et qu’il m’appartient de te le rendre en le donnant… Que si je fais pour plaire aux autres, comme la fleur de l’herbe je fanerai au soir. Mais si je fais pour l’amour du bien, je demeurerai dans le bien. Et le temps de faire bien et à ta gloire, c’est tout de suite.

Amen

De la tradition…

« Nous sommes des nains juchés sur les épaules de géants ; nous voyons plus qu’eux, et plus loin ; non que notre regard soit perçant, ni élevée notre taille, mais nous sommes élevés, exhaussés, par leur stature gigantesque ».

Cette citation de Bernard de Chartres (XIIe siècle) trouvée dans le dernier livre de Rémi Brague, Modérément moderne (Editions Flammarion), me paraît toujours plus lumineuse chaque fois que je la lis. La tradition n’est jamais ce que les traditionalistes ou les progressistes en disent. La tradition ignore résolument les clivages. Elle ne connait même pas la confrontation. La tradition se résume à un profond sentiment d’équilibre et de sérénité. Que l’on plonge en elle, et immédiatement, nous apparaît qu’elle est inaccessible à la plupart des hommes, que rares sont ceux dont elle pourrait être fière, qu’ils étaient toujours armés d’une humilité prodigieuse. Mais tous ceux qui ont voulu la mettre en cage parce qu’ils détestaient son influence ou ceux qui ont agi de même parce qu’ils voulaient la protéger d’elle-même et la garder pour eux, n’y ont compris ou vu goutte. La tradition est inaltérable. Contrairement à une idée répandue, sa destruction s’avère impossible. Au pire, est-il possible de l’oublier. Et l’oublier ne lui fait aucun mal. Elle sait se réserver. Elle n’est jamais pressée, prise d’affolement face à son époque. Elle prend son temps, puisqu’elle l’accompagne. Si les hommes l’oublient, elle sait laisser des traces de-ci de-là afin que l’on redécouvre son existence le moment voulu.

Elle est comme l’eau : personne ne peut la casser ou la retenir.

Il faudrait presque ne pas s’y référer. Il faudrait faire comme si elle n’était pas là. Nous la méritons si peu… Elle perd tout de suite de son lustre quand on en parle, quand on la descend à notre niveau. La tradition est intrinsèquement liée à la vie ; en réalité, elles ne font qu’un. Elles vont de conserve.

Extrait de La Sainte Messe, hier, aujourd’hui et demain, citation de Monsieur Dominique Ponnau, directeur de l’Ecole du Louvre, Conférence donnée au Mans, le 19 septembre 1998.

“Je me souviens. Ce souvenir est pour moi une référence culturelle et humaine quasi de chaque jour. C’était en juin 1985, à Pont-à-Mousson, à la fin du colloque “Musiques dans l’Eglise d’aujourd’hui”. Maurice Fleuret — en paix soit son âme —, le magnifique directeur de la musique et de la danse du ministre Jack Lang, l’ami de Pierre Mauroy, l’homme de gauche, le promoteur aussi éclairé que déterminé de la musique contemporaine, prit la parole. Parole de feu. De supplication ; on peut le dire, puisque lui-même supplia. Je le citerai ad sensum, mais ce mot je ne l’ai jamais oublié : il est de lui. Evoquant ce que la musique occidentale, depuis les origines jusqu’à nos jours, devait à l’Eglise, à la liturgie de l’Eglise, ce que devait à la musique de l’Eglise la musique de Monteverdi, de Bach, de Mozart, de Beethoven, de Stravinski, de Messiaen : tout. A la musique liturgique de l’Eglise, la musique occidentale devait tout, dit-il. Et lui-même, Maurice Fleuret, dans sa propre vie de musicien, à la musique de l’Eglise, que devait-il ? Tout. Il lui devait tout, dit-il. Et cette musique occidentale qui devait tout à l’Eglise, à la liturgie de l’Eglise, que devait-elle au chant grégorien ? Tout, dit-il. Au chant grégorien, toute la musique occidentale, dit-il, devait tout. Mais l’Esprit du chant grégorien, dit-il, cet esprit dont il ne pouvait imaginer qu’il cessât de souffler, où se respirait-il ? Dans la liturgie, dit-il. Et c’est à ce moment qu’il supplia l’Eglise… : Je vous en supplie, s’exclama-t-il, à l’intention des ecclésiastiques présents, ne laissez pas à l’Etat le monopole du chant grégorien. Il est fait pour la liturgie. Et c’est dans la liturgie qu’il faut le pratiquer.”