La haine du chroniqueur

J’intitule cet article la haine du chroniqueur. Le chroniqueur français — parce qu’il s’agit bien d’un mal français — est ainsi qu’il s’invente maître du temps, du monde, et surtout de comment il va. C’est insupportable. Expurgez les chroniqueurs et arrachez les bourgeons !

Tous ces chroniqueurs rassemblés ne forment rien d’autre qu’un Café du commerce. Avec des références.

Je prends pour exemple l’ouverture de l’antenne de France Culture le matin. Depuis 30 ans, j’écoute France Culture tous les matins. Je suis ce que l’on appelle un aficionado de France Culture. Culture Matin de Jean Lebrun a fait partie de mon ADN. Je l’ai aimé jusqu’à ce que son politiquement correct et son partisianisme n’éclatent aux grands jours avec la guerre de Yougoslavie. Heureusement, il quitta le navire qu’il semblait saborder tout seul.

Mais, quoi qu’on dise et bien que cette émission ait ressemblé à la fin au Titanic, Culture Matin était bien une émission de France Culture, je veux dire de France Culture avant le séisme Laure Adler. Avant que France Culture ne devienne une succursale des Inrockuptibles. Avant que France Culture ne rime plus qu’avec actualités. Ou pire, news.

Pierre Assouline après Lebrun s’essaya à interviewer un invité. Il faut du temps pour interviewer quelqu’un. Il faut du temps pour se sentir chez soi, pour accoucher une idée devant tout le monde, etc. À moins d’interviewer un politique. Ah oui c’est vrai, le matin sur France Culture on reçoit beaucoup de politiques maintenant. Jean Lebrun était la mouche du coche, et oubliait à la fin de son règne de lire ses notes ou les livres de ses invités, ou les deux. Il a sombré dans un narcissisme orgueilleux. Et son Court-Bouillon en est resté à l’état de brouillon. Mais Pierre Assouline restait dans l’idée de Culture Matin et était désireux d’accoucher l’invité. Après Assouline, tout finit de s’effondrer. Il paraît que certaines personnes à France Culture trouvaient que l’on s’endormait en l’écoutant. Et puis il n’était pas du sérail, pas syndiqué alors tout ça évidemment ça porte sur les nerfs. Après Assouline, les journaux ont fleuri toutes les trente minutes, une vraie prise de pouvoir, le journal de 7h30 finit vers 7h40 dans le meilleur des cas, avant on a eu une chronique d’une femme (la parité, mon brave monsieur), et après on a la revue de presse internationale, sorte de joute verbale que Cécile de Kervasdoué semble mener avec elle-même, mais surtout avec deux virus omniprésents sur les ondes : la cathophobie et la papophobie. Dans le hit-parade de la haine, la cathophobie et la papophobie viennent juste derrière Nicolas Sarkozy, c’est dire la vulgarité dans laquelle cette époque se complaît. Et les journalistes des journaux qui s’en donnent à coeur joie dans la même veine et qui prouvent d’ailleurs à quel point le gouvernement contrôle les médias (1). Le tout finit vers 7h45 dans le meilleur des cas. Il reste dix-douze minutes à l’invité pour croire qu’il va dire quelque chose avant que n’intervienne Olivier Duhamel qui est la panacée du politiquement correct. Tout ce temps pour l’actualité. À la mesure de son temps de parole, l’invité devient presque un chroniqueur. Le seul que l’on aimerait garder.

Comme si l’actualité allait si vite… Comme si l’actualité demandait que l’on aille si vite !

Jean Lebrun aurait dû finir sur France Inter, comme son alter ego avec quelques années en moins, Nicolas Demorand, qui finit de totalement changer la matinale de France culture en une matinale classique comme on en a sur France Inter ou RTL — et pour mieux partir sur France Inter par la suite, quelle ironie ! Évidemment, la porte s’ouvrait de plus en plus et claquait à tous les vents si bien qu’on eut même un présentateur de Canal Plus pour prendre la suite. Aurait-on jamais pensé tomber si bas ? Moi, qui le premier vouais au pilori le dernier Lebrun et son acolyte bosniaque l’aurait supplié de revenir si l’on m’avait menacé d’avoir un présentateur de Canal Plus tous les matins sur France Culture !

De Charybde en Scylla ! Mais depuis Laure Adler, on a pris goût au saucissonnage. Il ne faut pas que l’auditeur s’ennuie, il faut le tenir éveillé, il faut qu’il soit connecté au monde et pour l’empêcher de zapper, on zappe pour lui. Incorrigibles gens de gauche qui ne supportent pas la liberté. Incorrigibles gens de gauche qui pensent que l’homme doit toujours être éduqué. Le libéralisme morale cache aussi quelque chose… Le libéralisme cache toujours quelque chose qu’il soit moral ou économique. Il cache la fin de l’homme.

Il faudrait pouvoir dire non. Il faudrait une pétition pour ramener Antoine Spire à France Culture. Pourquoi ? Parce que Spire était le seul journaliste de l’antenne à pouvoir interviewer Octario Paz, par exemple. Bien sûr Laure Adler pourrait faire une interview de séduction comme elle en a le secret. Mais personne ne peut interviewer Octavio Paz comme Antoine Spire, en le poussant dans ses derniers retranchements, en lui extirpant ce que le grand auteur ne veut pas dire, en faisant son travail de journaliste avec talent. Mais pour faire son travail de journaliste avec talent, il faut en avoir. Je ne veux pas être méchant ici. Ce n’est pas le but. Il y a suffisamment de pseudo-comiques qui passent leur temps à être méchants sans raison sinon celui de faire rire les hurluberlus qui peuplent Internet et qui se gaussent comme dans une cours d’école… Mais n’est-ce pas la règle maintenant ? Le règlement de compte permanent.

Il reste du talent à France Culture. Voinchet en est un, Couturier un autre, Angelier et j’en passe, et certains sont même chroniqueurs et feraient mieux de travailler un peu pour faire une vraie émission. Insérer une chronique devrait aussi correspondre à besoin ponctuel, à faire évoluer une interview d’une manière ou d’une autre. Culture Matin est devenu la matinale de France culture, et les roturiers sont pris le pouvoir ! C’est le règne permanent du commentaire du commentaire. La plupart des journaux ou magazines sont déjà en soi des commentaires (ce que souvent les directeurs de journaux appellent la valeur ajoutée de la presse écrite). On commente le commentaire. C’est le règne du Café du commerce. Ce n’est surtout pas l’Agora que veulent nous faire croire certains car il n’y a pas d’échanges. Le pire étant le chroniqueur politique. Entendre parler de Nicolas Sarkozy ou Ségolène Royal tous les matins à longueur de matin est vulgaire. Et là encore, on se passera d’être exhaustif. Inviter un écrivain quel qu’il soit, inviter un peintre quel qu’il soit, inviter un artiste quel qu’il soit (en évitant tout de même les variétistes) n’est jamais vulgaire, son regard imprimera toujours une vision du monde.

Tous ces chroniqueurs peaufinent tellement leurs allocutions, se prennent tellement au jeu de l’importance de celles-ci, que dire ? On ne voudrait pas ici faire trop de peine.

J’ai pris comme perspective France Culture et la matinale, mais tout le monde sait en écoutant sa propre radio que le chroniqueur a pris la place de choix. Il est là pour synthétiser, pour expliquer, pour mâcher intelligemment le travail de l’auditeur. Dans mon esprit, l’auditeur, surtout celui de France Culture ne veut pas de ce syncrétisme synthétique, il ne rebute pas à s’élever. Mais en fait, c’est la vie du monde moderne qui continu ici, comme si ne rien n’était. On nous serine ce qu’il faut penser, dire, faire. On nous prend pour des enfants ; et pour cela on abaisse la toise. Parce qu’il est plus facile d’éduquer vers le bas, parce que l’égalitarisme continue de régner.


(1) Il est amusant de voir toujours cette presse se gloser de sa supériorité sur Internet et même d’établir des hiérarchies au sein de la presse. Ainsi Olivier Duhamel, un matin passé, se targuait de la qualité de l’information sur France Culture et finissait même sa chronique en affirmant que France Culture n’était pas Voici. Pouvait-il se tromper en exécutant un tel grand écart ? Mais un autre matin, Cécile de Kervasdoué nous a entretenu pendant toute sa revue de presse internationale d’une rumeur que le “monde entier” partageait — notons ici que personnellement je n’en avais jamais entendu parler et que, après coup, je me serais félicité de n’en rien savoir — d’une liaison entre Nicolas Sarkozy et une de ses assistantes et de Carla Bruni avec un chanteur de variété… La journaliste passa ainsi toute sa chronique (car ce n’est rien d’autre) à ne pas nous dire ce dont le monde bruissait et puis dans un élan de générosité insensé, elle daigna tout nous livrer. Je n’ai pas ressenti le besoin d’aller acheter Voici après cette chronique. Je pense que Olivier Duhamel non plus.

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