Le destin de Charlie

dessin soldat

« L’ennemi te limite donc te donne ta forme et te fonde ». Cette phrase de Saint-Exupéry exprime assez bien notre condition à la fin de cette première semaine de l’année 2015. L’ennemi m’oblige à évoluer selon ses codes, à l’intérieur d’un espace qu’il a circonscrit. Je suis d’abord prisonnier. Il choisit le terrain et m’astreint à y rester confiné. Des deux données humaines immuables, l’espace et le temps, il m’ôte l’espace. Ôter l’espace au temps c’est un peu ôter Laurel à Hardy. L’autre unité continue de vivre, mais elle est défigurée. Elle a perdu l’équilibre offert par l’altérité de son conjoint. Le temps n’est pas le même suivant l’espace dans lequel il évolue. La géographie accomplit le destin avec une mesure aussi précise que le sablier.

Morihei Ueshiba, l’inventeur de l’aïkido, qui était prêtre zen et philosophe, voulait « changer les hommes », leur ôter toutes velléités de violence. Il voulait vaincre, mais aussi que le vaincu soit changé, qu’il n’ait plus jamais envie de se battre ou d’attaquer quelqu’un. La défaite se transformait en remède au mal de l’agression. Si l’ennemi m’accule, je l’évite une première fois, une deuxième, une troisième… Un petit ascendant m’anime, et l’habite. Dans les arts martiaux, il n’existe pas d’enchaînements commençant par une attaque. L’art de la guerre repose sur la défense. J’ai accepté parce que je ne pouvais pas faire autrement l’espace, j’ai accepté, car j’ai été agressé, mais mon adaptation à l’espace doit être supérieure à celle de l’ennemi, car je ne suis pas aveuglé par la haine. La haine est multiple et révèle la présence de Satan sur Terre. La haine n’est jamais une liberté, ou bien c’est la liberté volée à l’autre. La haine sait très bien se dissimuler sous un sourire ou même un rire. Elle est toujours une perte de soi, elle blesse l’agresseur et la victime. Soyons donc bien conscients que l’ennemi n’est jamais lui-même et que pour le vaincre ma plus grande force est de rester moi-même. Pour vaincre, je dois toujours me vaincre. Si, une partie de moi renonce à l’autre, si la division m’habite, si je crois qu’il me suffit de me serrer la main ou de me serrer dans mes bras, de pavaner devant les médias, je suis fichu. Je m’envolerai au premier coup de vent. Je dois toujours rester fidèle à mon destin, cette âme, cette liberté, ce don de Dieu. Le mal n’est pas une punition nous dit Pascal, il est une voie tracée, une obstination à chercher Dieu, à s’accorder à Lui, à aimer1. Tout mal est une nouvelle chance de conversion. Tout mal est une chance d’échapper aux griffes acérées du mondain repu d’identité, de puissance et d’envie qui, si elles peuvent s’avérer des armes dans le combat, ne fondent rien qui ressemble à une civilisation.

L’ennemi agit d’abord sur mon âme

« L’ennemi te limite donc te donne ta forme et te fonde ». L’ennemi en me limitant m’oblige à définir ce que je suis à travers ma géographie. La géographie combine la carte et le territoire. La culture et la nature. L’ennemi se renforce de ma faiblesse. Si ma culture et ma nature ne s’accordent pas, si elles ne se respectent pas ou si je ne respecte pas l’une ou l’autre, mon ennemi a gagné. Lorsque j’esquive, mon esprit ne peut lancer le mouvement et mon corps, après réflexion, décider de le suivre. Mon corps et mon esprit doivent ne faire qu’un. C’est tout l’art du combat. C’est la forme. L’ennemi me donne ma forme non pas en me modelant, mais en me déconstruisant2, si je ne suis pas un, si je suis fait de bric et de broc, si je suis raccommodé.

Et il me fonde… parce qu’il me force à m’abandonner et à me retrouver. L’ennemi est aussi altérité. Il me force à m’abandonner, car je ne veux pas du combat, mais il le faut. Le déploiement de ma force est juste, car elle vient protéger ce qui me fonde. La force qui protège est la seule qui nous préserve de la volonté de puissance. Sinon, si elle est au service de la puissance, si elle me force à m’ensauvager, elle signe la victoire de l’ennemi. La guerre me force à me retrouver parce que je ne peux vaincre qu’en étant cette âme que Dieu appelle à la conversion à travers le mal. L’ennemi agit d’abord sur mon âme. Il m’agresse, il veut que je vienne sur son terrain, dans son espace. Mon premier et décisif défi consiste à accepter sa charge (je ne peux faire autrement sauf à être éliminé avant d’avoir combattu), mais à changer son espace en le mien, tout en continuant à agir comme s’il s’agissait de son terrain de vindicte, sa forme devient la mienne, il ne fonde que sa perte.

La France est tellement plus que la République

La France a contribué à façonner le monde en l’aimant. C’est la mission de la France depuis toujours. Pas depuis deux siècles comme nos gouvernants veulent le croire et le faire croire. La France est tellement plus que la République. Il est aussi facile pour les incultes de brocarder la mission de la France dans l’Histoire. L’ennemi est double et intérieur : il nous gouverne, il incarne notre avenir. De génération en génération, nos chefs cultivent une crasse ignorance dont ils s’honorent éhontément. Chaque nouveau prétendant nous pousse à croire que l’on peut aller plus loin dans ce sillon de la médiocrité. La République dont ils ne cessent de brandir les valeurs subit le plus important revers de sa jeune existence, elle, qui fondait son empire sur l’instruction, pardon, l’éducation, ne reconnait plus ses enfants, et ses enfants la haïssent. Notre jeunesse se repaît de la violence et l’appelle de ses vœux. Aux deux bouts de la chaîne, l’inconnaissance commande et ordonne, trouvant des subterfuges pour ne pas se remettre en question en pointant des boucs émissaires qu’elle va traquer jusque dans la littérature, c’est dire comme elle est aux abois. L’inconsistance commande et ordonne parce qu’aux deux bouts de la chaîne, l’idéologie prédomine. La République et son cortège de concepts flous publicitaires (anti-racisme, laïcité, etc.) et l’islamisme cancer de l’islam qui tarde a réaliser le virage de Ratisbonne3. Le lien organique qui a couru bon an mal an depuis le début de la France, depuis Clovis, transmis de-ci de-là par une multitude quelquefois connue, souvent méconnue ou inconnue, petite Jeanne ou grand Charles4, continue d’exister. Il suffirait de se baisser un peu pour le ramasser, de le prendre dans ses mains, de le réchauffer et de le réconforter pour qu’il retrouve sa joie de vivre. Et il est certain que seul ce lien, ce petit lien si fragile qui n’a l’air de rien, mais qui a façonné le monde, peut nous aider à surmonter l’épreuve de la guerre. Il est tout aussi certain qu’il n’existe aucun dirigeant connu suffisamment armé pour le retrouver. Il a été égaré depuis si longtemps. Nombreux sont ceux qui font comme s’il n’avait jamais existé. Comme s’il était un fantasme. Personne ne semble habité par une foi suffisante. C’est ce qui ne cesse d’inquiéter. Quand le malade ne croit plus en sa guérison, la maladie place ses banderilles et attend de porter l’estocade. Notre conversion se morfond d’attendre. Notre destin ne peut s’appeler soumission.

  1. « Vous ne laissez subsister le monde et toutes les choses du monde que pour exercer vos élus »
  2. Un grand maître de karaté okinawaïen dit un jour lors d’un cours qu’il donnait : « Après quelques secondes de mains collantes, je connais tous les points faibles de la personne en face de moi. Je n’ai plus qu’à appuyer sur ceux-ci lors du combat » et il démontra aisément contre les meilleurs élèves ce qu’il venait de dire.
  3. Voici le lien vers le Discours de Benoit XVI le 12 septembre 2006. Ce discours, main tendue afin d’avoir une vraie discussion autour de la violence et des religions et pas seulement concernant l’Islam, a été brocardé par tous les bien-pensants européens. Tous se sont écriés que le Pape n’aurait jamais dû parler de cela et même qu’il n’en avait pas le droit. Dont acte !
  4. Charles de Gaule qui n’avait plus été fêté avec autant d’enthousiasme depuis fort longtemps, sans que les gens le sachent

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