Le moralisme gluant de l’Occident

Il est toujours amusant et instructif de se rendre compte des contradictions de ses adversaires. Comment, de cette société moderne si fière de sa liberté, de sa façon de concevoir les choses intimes, cette société de la sensualité (quand on a bien pris soin de confondre sensualité et pornographie), émerge une société pudibonde, restrictive, voyeuriste et surtout moraliste (il faut relire ici l’essai de Jean Marie Domenach : Une Morale sans moralisme). Là où cette société moderne plénipotentiaire tente de confondre la morale du catholicisme qu’elle portraitise comme archaïque, elle developpe très rapidement des anti-corps sous la forme d’un moralisme qui ne se sent bien qu’en jugeant le voisin. C’est la morale petit-bourgeois. C’est un trait de caractère français. Mais que d’autres pays d’Europe partagent avec elle.

La vulgarité avec laquelle les médias déversent leur idéologie entièrement fondée sur l’envie est affligeante. Tiger Woods, sportif unique en son genre, s’est ainsi vu livré aux chiens selon la formule disproportionnée de François Mitterrand après le suicide de Pierre Bérégovoy. John Terry, footballeur anglais, est lui aussi en proie aux tabloïds. Pour de simples histoire de fesses… Affligeant. Mais le plus affligant est que ces sportifs, vedettes, hommes politiques sont jugés par des gens qui eux ne seront jamais jugés. Je précise. En dix années passées à parcourir les rédactions de certains magazines français, je peux assurer que trois journalistes sur cinq rêvent du gros coup. Qu’est-ce qu’un gros coup pour un journaliste ? Réussir à descendre une idole de son piedestal, ou tout au moins à montrer que son irréprochabilité est sérieusement en doute.

Pourquoi le métier de journaliste est-il si enclin à créer de l’envie ?

Si je m’essayais à une explication rapide, je dirais que la proximité du pouvoir, du succès, du talent, ne peut que générer de la jalousie, du ressentiment et de l’envie. Surtout, que cette proximité avec une forme de prospérité est un mirage inatteignable ; une vitrine dont le journaliste n’est que le spectateur. L’envie de retourner le banquet sur la tête des hôtes démange.

Le moralisme agit partout. On juge du haut de son expérience (il n’y a rien de pire), on juge du haut de ce qu’il faut penser (souvent un conglomérat de légendes urbaines et de café du commerce agglomérés par un soupçon de bon sens), on juge parce que le pouvoir qu’on en retire est à nul autre pareil.

Je souriais l’autre soir en regardant un reportage sur une chaîne privée française. La mise en scène était effrayante. On voulait nous inquiéter, nous faire peur concernant l’avenir des poissons dans les mers du globe. Les invités à répondre aux questions étaient tous filmés en clair-obscur, ce qui leur donnait un air inquiétant, sombre ; l’apocalypse point. La bande-son aurait pu illustrer Vendredi 13. Le péril était là. À nos pieds. À portée de mains. Sauvons nos enfants ! Encore ici, on s’amuse et on s’instruit de voir les journalistes appliquer les techniques des politiques ; techniques qui chez les politiques est détestable, mais qui chez les journalistes prend tout son sens certainement. Intimider, inquiéter, apeurer, fragiliser, orienter. Quand les politiques agissent ainsi, on les dit démagogues. La démagogie n’est-elle pas contraire à la déontologie du journalisme. Et puis, n’est-ce pas le journaliste qui crée la peur en relayant le discours sous prétexte d’informer ?

Le documentaire apportait des informations intéressantes. J’ai appris nombre de choses sur la pêche dans le monde. La loi promulguée ces jours derniers contre la pêche du thon rouge va dans ce sens. Je ne prendrai pas partie entre scientifiques et pêcheurs ; d’autant que certains de mes amis d’enfance sont ou ont été marins-pêcheurs. Je revois ce commandant spécialiste de la pêche en profondeur expliquer son métier. Combien ce métier a déjà changé. Combien il est plus réglementé de nos jours. Son récit devient joyeux et ludique, il raconte les multiples incartades dont il faisait preuve envers les grandes-côtes. Jouant au chat et à la souris. S’évertuant à enfreindre les lois, à être le plus malin, à duper la maréchaussée. Il est assis à son poste de commandement. Il jubile comme un enfant ayant contourné l’interdit. Plan suivant du caméraman  : une vierge à l’enfant posée sur une étagère dans la cabine de pilotage. Moralisme quand tu nous tiens…

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