Pourquoi cette haine de l’autorité ?

L’autorité ressemble à ces agents secrets chers à Graham Greene qui dissimulent leur identité pour ne pas la perdre davantage lors d’une mauvaise rencontre. Elle a encore quelques adorateurs qui l’affectionnent et déploient des trésors d’ingéniosité pour la définir, la redéfinir, pour qu’elle soit comprise de son époque. Pour cela, ils la rapprochent de la tradition, de l’honneur, de la hiérarchie, de la loi naturelle… ils n’ont de cesse de lui donner une canne, des béquilles, un trépied, pour qu’elle puisse encore sortir de sa cachette et prendre l’air. Les mots auxquels ils rattachent l’autorité ressemblent à des pansements, des cautères, qui, au bout du compte, la dissimulent un peu plus. Le désamour est prononcé depuis un long temps et s’accentue. Rien ne peut sauver l’autorité, tout ce qu’elle inspire rappelle des vieilleries dont on sait se passer. Elle ne sert à rien. Elle ne sert de rien.

L’autorité, dans son sens latin, vient d’auctor qui signifie celui « qui accroît », et de auctoritas, qui a « pouvoir d’imposer l’obéissance ». L’autorité s’assimile au pouvoir, ce que l’on oublie en séparant le pouvoir et l’autorité. En revanche, c’est un pouvoir sans pouvoir, elle ne contraint pas. Son champ d’action naît de l’éthique, du savoir, de la croyance… Car elle requiert l’obéissance. C’est là que l’on commence à buter sur son sens, car l’époque n’aime pas bien l’obéissance. Et, comme l’époque n’apprécie guère plus la croyance, elle dénigre l’autorité. Elle la dévalue, elle l’identifie à un pouvoir lâche et aveugle. Elle lui administre un surnom qui est devenu un sous-entendu : autoritarisme. Comme pour révéler ce qu’elle cache sous son masque de mansuétude : un caractère brutal, violent et instable. Il faut la démasquer. Il faut la calomnier. Il ne faut surtout ne plus rien comprendre, et qu’est-ce que ne rien comprendre sinon une nouvelle forme de croyance ? L’autorité impose des limites dont plus personne ne veut plus, qui obligent et empêchent d’être ce que l’on désire. L’époque pense que c’est en étant ce que l’on désire que l’on sera ce que l’on mérite. L’individualisme règne en maître, et sans partage. Personne ne sait mieux que soi ce qui est bon pour soi. Qu’on se le tienne pour dit ! Comme il fallait faire fi des limites et de la hiérarchie, l’époque balança l’autorité au rebut après l’avoir mise au piquet. L’autorité catalysait la modernité. Il fallait la matter.

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Quel est le problème avec la messe de Paul VI  ?

Il y a maintenant plus de cinquante ans, l’Église catholique se dotait d’une nouvelle messe qui rompait d’une manière encore jamais vue avec la tradition de l’Ėglise. Les réformateurs n’avaient cependant pas prévu que la messe traditionnelle leur perdure. Ils étaient même persuadés du contraire. Et ils utilisèrent tous les moyens en leur possession pour arriver à leurs fins : la suppression de la messe romaine traditionnelle1 Pourtant, force est de constater que cette messe continue d’attirer de nombreux fidèles, et parmi eux, des jeunes gens qui s’engagent, comme priants, comme séminaristes, à célébrer et à faire vivre cette forme du rite romain. Ces derniers sont souvent accusés d’être des fauteurs de trouble, des nostalgiques, des identitaires, et surtout, crime de lèse-majesté, d’être contre le Concile Vatican II, que l’on ne sépare plus de son propre esprit ; cet esprit du concile dont on se repaît sans jamais vraiment le qualifier, comme pour à peu près toutes les choses importantes. Dans l’Église comme ailleurs, les progressistes agissent en essentialisant leurs contradicteurs afin de les discréditer. La liturgie est le sommet et la source de la vie de l’Église comme le rappelle le dernier concile, et la liturgie est tradition. Pour dénouer la crise de la liturgie qu’elle porte en son sein, l’Église devra retisser les fils de la tradition abimée et blessée, même et surtout, si l’époque la presse de n’en rien faire.

Quel Vatican II ?

« Le nouvel Ordo Missae, si l’on considère les éléments nouveaux, susceptibles d’appréciations fort diverses, qui y paraissent sous-entendues ou impliquées, s’éloigne de façon impressionnante, dans l’ensemble comme dans le détail, de la théologie catholique de la Sainte Messe, telle qu’elle a été formulée à la XXIIe session du Concile de Trente, lequel, en fixant définitivement les “canons” du rite, éleva une barrière infranchissable contre toute hérésie qui pourrait porter atteinte à l’intégrité du Mystère »2 Le cardinal Ottaviani, préfet émérite de la Congrégation pour la Doctrine de la foi s’adressait ainsi le 3 septembre 1969 à Paul VI, nous étions à quelques semaines de l’entrée en vigueur de la nouvelle messe. Cela concluait d’une certaine façon, le Concile Vatican II qui avait pourtant fermé ses portes depuis quatre ans  ! Attardons-nous un peu sur la figure de cardinal Alfredo Ottaviani : fils de boulanger, issue des quartiers pauvres de Rome, il se révèle un très bon élève au séminaire pontifical romain, et obtient trois doctorats, en théologie, en philosophie et en droit canon. Secrétaire du Saint-Office, puis propréfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi, il travailla les quatre années précédent le concile à préparer les thèmes à traiter et prononcera l’habemus papam pour l’élection de Jean XXIII. Ce mois d’octobre 1962 verra les masques tomber et les prises de position, progressistes ou modernistes, s’afficher. Jean XXIII, dans son discours d’ouverture du Concile, affichera un certain mépris pour l’équipe curiale de Pie XII en déclarant : « L’Épouse du Christ préfère recourir au remède de la miséricorde, plutôt que de brandir les armes de la sévérité. Elle estime que, plutôt que de condamner, elle répond mieux aux besoins de notre époque, en mettant davantage en valeur les richesses de sa doctrine. »3 Il y a dans cette phrase une dichotomie qui inaugure et préfigure tout le Concile Vatican II : peut-il y avoir miséricorde s’il n’y a pas condamnation d’un acte ? Pourquoi y aurait-il remède s’il n’y a auparavant blessure ? Ne voyait-on la volonté de mettre le péché sous le tapis comme une poussière incommodante ? Le ton employé où la mansuétude s’affirme comme autorité suprême deviendra le leitmotiv du Concile Vatican II. Dès lors une fronde s’organise. On rejette les textes préparés par la curie. Notamment De fontibus revelationis, sur les sources de la révélation, et le De Ecclesia. Il fallait une majorité absolue pour entériner ce rejet, Jean XXIII donna son accord et se contenta de la majorité relative. « Ainsi fut réalisé un véritable coup d’État, par lequel l’ensemble des tendances libérales, en train de s’organiser en “majorité conciliaire”, ravirent le pouvoir doctrinal à la Curie héritée de Pie XII. » 4. On commença dès lors, et puisque les textes de travail avaient été foulés aux pieds et mis au rebut, de travailler à la liturgie. On pensait le sujet rassembleur. Les progressistes avaient comme à leur habitude un agenda, ce que les conservateurs n’ont presque jamais. Le cardinal Ottaviani, le 30 octobre 1962, prit la parole, il n’était pas encore aveugle et allait faire preuve de clairvoyance, il demanda qu’on ne traitât pas le rite de la messe « comme un morceau de tissu qu’on remet à la mode selon la fantaisie de chaque génération ». Il sembla à l’assistance qu’il était trop long dans son développement. Il fut interrompu sans égard à son rang. On coupa son micro sous les applaudissements d’un grand nombre de Pères. Le Concile Vatican II pouvait commencer.

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Lettre au Pape François au sujet de la messe

Préambule
Cette lettre au Pape François a été d’abord écrite pour La Voie Romaine 1 afin de rendre témoignage de la beauté et de l’efficacité du rite traditionnel romain et de témoigner du choc causé par le motu proprio, Traditionis custodes, publié le 16 juillet 2021 par le Pape François.

Saint Père,
Je m’extirpais d’un terrible cauchemar : j’ai rêvé que vous limitiez l’accès à la liturgie traditionnelle, j’ai dès lors pensé qu’il était important de vous révéler combien la messe de saint Pie V a marqué mon existence sans que j’y sois préparé le moins du monde. Savez-vous qu’il m’est difficile d’écrire Saint-Père, car je n’ai pas eu de père. J’en ai un, comme tout un chacun, mais, je ne l’ai pas eu quand j’aurais dû l’avoir. Ainsi, il m’a abandonné avant que je naisse. Je l’ai retrouvé, plus tard, mais vous comprenez que je ne l’ai pas eu au bon moment. Je n’ai pas eu les bons moments qu’un enfant connaît avec son père. Je ne l’ai pas connu lorsque le besoin s’en faisait sentir, et le besoin s’en faisait sentir à tout moment puisque l’absence le créait Je n’ai pas eu de père pour me guider, comme un tuteur, pour partager mes goûts et mes dégoûts, pour épouser mes vues ou les infléchir.

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Benoît XVI au Paradis !

— Est-il matin ou soir ?
Mon souffle se coupait, puis il reprenait. Comme s’il donnait signe d’une défectuosité. Il me lâchait. Le pneuma me quittait. J’ai soufflé que j’étais prêt. Mon Dieu que j’aime ! Mais, le souffle revint, l’air de rien, comme s’il s’était absenté pour faire une course. La memores est sortie. Je savais que G. allait arriver. J’espérais que mes dernières forces durent jusqu’à son retour. Je l’attendais pour entrer en agonie. Je ne ressentais aucune tension. Je crois que tout s’est fait rapidement ensuite. Le temps se bouscule. J’entendais différents sons qui ne paraissent pas appartenir tous au même univers. Cela me donnait une vague torpeur comme on en ressent lorsqu’on est comateux. Des sonorités venant de plusieurs dimensions.
G arriva avec deux sœurs, mes petites memores qui avaient si bien pris soin de moi toutes ces années. J’entendais parfaitement ce qui se disait. L’âme a des oreilles, n’est-ce pas ? Je jaugeais quels témoins seraient présents lors de mon jugement. J’interrogeai mon ange, mais il ne répondit pas. Était-il déjà appelé pour paver ma route ? J’entendais G. qui de sa voix mélodieuse me parlait pour me rassurer, mais je ne pouvais pas lui répondre. C’est certainement ce qui le décida à me bénir et à m’offrir le dernier sacrement. Ma voix ne sortait plus. J’ai compris que cette fois, elle ne sortirait plus jamais. Ma voix sur Terre s’éteignit à cet instant. Cela commençait ainsi. Elle m’avait déjà trahi, cependant cette fois, je compris que c’était définitif. Je ne mis plus aucune force à la faire changer d’avis. Je sentais que des parties de moi devenaient ainsi indépendantes de moi. Je voulais redire : mon Dieu que j’aime ! Je le dis sans voix. Du regard, G. me comprit. L’âme a des oreilles. G. s’agenouilla à l’instant où j’eus l’impression de glisser. Je me souvins de moi, enfant, glissant sur une mare d’eau glacée et me retrouvant sur les fesses, tournant sur moi-même. Mes yeux se fermèrent sur ce souvenir délicieux de maman et papa riant aux éclats de ma chute, mon bien cher frère riait lui aussi à leurs côtés, puis il m’aida à me relever. Mes chers parents qui m’avaient donné la vie à une époque difficile et qui, au prix de grands renoncements, m’avaient préparé par leur amour un merveilleux foyer.
Tout s’est fait très vite. J’ai quitté mon corps. J’ai compris que l’âme était le véritable je. Je sentais toujours mes membres. C’était étrange. J’ai senti quelqu’un venir. Tout allait très vite. Une personne approchait. Il m’était familier. Comment le savais-je ? C’était comme un nouveau sens qui précédait tous mes sens perdus. Je connaissais celui qui venait même si je ne voyais personne, d’ailleurs ma vue se brouillait, elle devenait confuse, mais je savais, je sentais que quelqu’un se tenait debout devant moi.

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Le souffle de l’Esprit à Warrington ! Une église renait !

La Fraternité à Warrington, par l’abbé Armand de Malleray, Recteur de l’église Sainte-Marie de Warrington

Rares sont les centres de messe traditionnelle qui ont commencé sans un noyau de paroissiens désireux de prier dans la forme traditionnelle. C’est pourtant ce qui s’est passé à Sainte Marie de Warrington, une ville moyenne située entre Liverpool et Manchester, au nord-ouest de l’Angleterre. Les moines bénédictins de l’abbaye d’Ampleforth avaient construit cette grande et belle église néo-gothique en 1870. Mais faute de vocations ils durent confier Sainte Marie au diocèse qui, pour la même raison, n’eut bientôt plus qu’une alternative : fermeture ou Fraternité Saint-Pierre. On pourrait synthétiser ainsi le choix offert par l’archevêque de Liverpool à ses ouailles : Eleison ou Morrison (Morrison est l’équivalent anglais des supermarchés Leclerc). Plutôt que de laisser leur belle église devenir un centre commercial (ou un centre d’escalade en intérieur comme c’est arrivé pour une autre église de la ville), les fidèles décidèrent d’essayer la Messe en latin. En 2015, la Fraternité Sacerdotale Saint-Pierre fut donc invitée à prendre la direction de cette église.

Dans ce cadre architectural majestueux, nous avons pu déployer la liturgie et le ministère traditionnels sans la moindre entrave. Comme l’ensemble des bâtiments nous appartient, et par approbation de l’archevêque local, l’intégralité du ministère s’accomplit selon les traditions liturgiques et disciplinaires décrites dans les Constitutions de la FSSP. Avant notre arrivée, et dans les premiers mois, plusieurs rencontres permirent aux paroissiens de poser des questions auxquelles nos prêtres répondirent, expliquant les raisons théologiques et spirituelles du latin, de la posture du prêtre tourné vers Dieu, de l’absence de ministres laïcs de la Sainte Communion etc. Environ trois quarts de la communauté sont restés. Depuis, beaucoup d’autres fidèles sont arrivés. Pour plusieurs, la première Semaine Sainte en 2016 fut une révélation. D’autres paroissiens ont dit découvrir la signification de l’architecture sacrée, convergeant vers le tabernacle, lorsque la vaste estrade avec table installées au milieu de la nef dans les années 1970 furent enlevées et le maître-autel reconstruit. Après environ 50 ans d’interruption, nous avons restauré la procession de la Fête-Dieu de Sainte Marie vers une église voisine. Tous les catholiques de la ville et d’ailleurs sont invités. Nous avons acheté un grand bâtiment adjacent pour en faire une petite école et une vaste salle paroissiale. A peu près 40 personnes assistent à la Sainte Messe chaque jour de semaine et 240 le dimanche. Les prêtres absolvent environ 85 pénitents par semaine et donnent beaucoup de temps pour la direction spirituelle.

L’archevêque de Liverpool nous a offert un soutien sans faille. Par deux fois, il a ordonné nos prêtres dans notre église. Il fut le premier évêque anglais à ordonner dans la forme traditionnelle depuis 1970. Chaque année, il confère le sacrement de Confirmation. Sans pour autant partager le point de vue de notre Fraternité sur un certain nombre de questions pastorales et dogmatiques, notre archevêque est heureux de voir une communauté de fidèles croître de façon sereine. Alors qu’il enterre bien plus de prêtres qu’il n’en ordonne, et ferme les églises au lieu d’en construire, le pasteur de cet archidiocèse soutient généreusement notre petite communauté à cause des fruits manifestes que Dieu produit en elle. Chaque année des convertis rejoignent l’Eglise, des jeunes se marient et d’autres embrassent la vie consacrée. Les fidèles prient souvent pour les vocations, soit lors de Messes votives pour les Vocations, soit selon la Prière de la Confraternité Saint-Pierre. Leur clergé leur rappelle que leurs prières et leurs sacrifices sont essentiels pour obtenir de Dieu les prêtres de demain, permettant d’offrir à d’autres paroisses l’occasion d’un rebond salvateur comme celui de Sainte Marie de Warrington. Ô Dieu, donnez-nous beaucoup de saints prêtres !

 

Lauda Sion

Magnifique séquence dans la messe de la Fête-Dieu, écrite par Saint Thomas d’Aquin, cette poésie dogmatique loue la nouvelle et véritable Sion, l’Eglise. Benoit XVI disait de cette messe : “Ce sont des textes qui font vibrer les ondes du coeur, alors que l’intelligence, pénétrant avec émerveillement dans le mystère, reconnaît dans l’Eucharistie la présence vivante et véritable de Jésus, de son Sacrifice d’amour qui nous réconcilie avec le Père et nous donne le salut.”

Loue, Sion, ton sauveur, loue ton chef et ton pasteur, par des hymnes et des cantiques.
Autant que tu le peux, ose le chanter, car il dépasse toute louange, et tu ne suffis pas à le louer.
Un sujet spécial de louange nous est proposé aujourd’hui : c’est le pain vivant et vivifiant.
Le pain qu’au repas de la Sainte Cène, Jésus donna réellement à la troupe des douze frères.
Que la louange soit pleine et sonore ; qu’elle soit joyeuse et belle, la jubilation de l’âme.
Car c’est aujourd’hui la solennité qui rappelle la première institution de cette Cène.
À cette table du nouveau Roi, la nouvelle Pâque de la nouvelle loi met fin à la Pâque antique.
Le rite ancien est chassé par le nouveau, l’ombre par la vérité ; la lumière dissipe la nuit.
Ce que fit le Christ à la Cène, il a ordonné de le faire en mémoire de lui.
Instruits par ses ordres saints, nous consacrons le pain et le vin en l’hostie du salut.
C’est un dogme donné aux chrétiens que le pain devient chair et le vin devient sens.
Ce que vous ne comprenez ni ne voyez, la foi vive l’atteste contre le cours des choses.
Sous des apparences diverses, simples signes et non réalités, se cachent des réalités sublimes.
La chair est nourriture, le sang boisson ; cependant le Christ demeure entier sur l’une et l’autre espèce.
Par qui le reçoit, il n’est pas rompu ni brisé ni divisé, mais reçu tout entier.
Un seul le reçoit, mille le reçoivent : chacun autant que les autres ; pris en nourriture, il n’est pas détruit.
Les bons le prennent, les méchants le prennent, mais pour un sort différent : La vie ou la mort !
Mort pour les méchants, vie pour les bons : voyez combien d’une même prise l’issue est différente.
Si enfin le sacrement est rompu, ne vous troublez pas, mais souvenez-vous qu’il y a sous chaque parcelle autant qu’en recouvre le tout.
Aucune scission de la réalité ne se produit : du signe seul il y a rupture, et elle ne diminue ni l’état ni la grandeur de la réalité signifiée.
Voici le pain des anges devenu l’aliment des voyageurs : c’est vraiment le pain des enfants, qui ne doit pas être jeté au chien.
D’avance il est signifié par des figures : l’immolation d’Isaac, l’agneau mise à part pour la pâque, la manne donnée à nos pères.
Bon Pasteur, pain véritable, Jesus, ayez pitié de nous : nourrissez-nous, gardez-nous, faites-nous voir les vrais bien dans la terre des vivants.
Vous qui savez et pouvez tout, qui nourrissez ici-bas les mortels que nous sommes : faites là-haut de nous vos commensaux, les cohéritiers et les compagnons des saints citoyens du ciel.

Prière de l’artisan

Prière monastique du XIIe siècle
Apprends-moi, Seigneur, à bien user du temps que tu me donnes pour travailler…
Apprends-moi à unir la hâte et la lenteur, la sérénité et la ferveur, le zèle et la paix. Aide-moi au départ de l’ouvrage. Aide-moi au cœur du labeur… Et surtout comble toi-même les vides de mon oeuvre : Seigneur, dans tout labeur de mes mains laisse une grâce de Toi pour parler aux autres et un défaut de moi pour parler moi-même.

Garde en moi l’espérance de la perfection, sans quoi je perdrais cœur. Garde-moi dans l’impuissance de la perfection, sans quoi je me perdrais d’orgueil…

Seigneur, ne me laisse jamais oublier que tout travail est vide sauf là où il y a amour…

Seigneur, enseigne-moi à prier avec mes mains, mes bras et toutes mes forces. Rappelle-moi que l’ouvrage de mes mains t’appartient et qu’il m’appartient de te le rendre en le donnant… Que si je fais pour plaire aux autres, comme la fleur de l’herbe je fanerai au soir. Mais si je fais pour l’amour du bien, je demeurerai dans le bien. Et le temps de faire bien et à ta gloire, c’est tout de suite.

Amen

Antigone, insoumise et intime (7/7. L’amour)

7ème et dernière partie : L’amour

Le désir d’Antigone est familial, elle ne veut pas laisser son frère sans sépulture ; Créon, lui, désire s’affirmer en tant que roi et montre son pouvoir. Antigone privilégie les liens familiaux qui incarnent l’amour et révèlent un être. Créon assoit son pouvoir en signant un acte de loi qui doit établir son autorité. Un même mot caractérise leur action : le désir. Mais le désir ne reconnaît pas le désir chez l’autre, on pourrait croire, surtout si l’on est tenté d’aduler le désir pour lui-même, que le désir adoube tout désir qu’il rencontre. Entre Créon et Antigone, c’est la mesure des désirs qui compte. Face à face, Antigone et Créon vont augmenter la mesure de leurs désirs à l’adversité qu’ils rencontrent. Mais la source du désir d’Antigone est-il encore compréhensible de nos jours ? En effet, le désir d’Antigone, ce désir qui se fonde sur la justice, justice faite et rendue à la dépouille de son frère et aux dieux, ce désir prend tout son sens, car il est communautaire, il s’inscrit dans une cité et dans une famille, vision réduite de la cité, et dans une croyance, Antigone s’adosse aux dieux pour interpeller Créon. Antigone n’exprime pas un désir personnel, elle défend une loi éternelle, elle défend son devoir à le dire, à le clamer devant n’importe quel pouvoir qui se croirait au-dessus d’elle. Depuis quand n’entendons-nous plus qui que ce soit s’ériger dans l’espace public pour clamer son devoir au prix de sa vie ? Le pire ? Nous nous sommes habitués à ce silence, cette résignation, les lois transcendantales ne nous disent plus grand-chose, donc rien ne vient surplomber et donc corriger les lois qui passent devant nous et nous encerclent comme des détritus dans un courant d’eau. Les communautés qui fortifiaient l’individu au sein d’un espace qui le protégeait et lui permettait de grandir ont volé en éclats. L’individu ressemble maintenant à un électron fou qui ne peut se construire que des bourrasques de vent qui l’épuisent et le déboussolent sans cesse et effacent jusqu’au goût du sens à donner à sa vie. La vie sociale repose sur le droit et le droit seul, mais en un lieu sans géographie composée de gens hors sol tous les droits se valent et se concassent dans un odieux capharnaüm. Créon a le pouvoir. Antigone est la fille d’Œdipe. À une époque où il ne s’agit plus que d’avoir, de posséder, d’acquérir, Antigone pèse — puisqu’il faut évaluer — bien peu. La destruction méthodique de toute métaphysique s’apparente à un crime contre l’humanité. Peut-être le plus grand que le monde a connu. Puisque d’un clic, je peux tout acquérir je n’ai plus besoin que de connaître mon désir pour le rassasier. On comprend aussi que ce désir individuel que plus rien ne protège de son appétit n’accepte aucune limite et surtout pas celle posée par autrui ; alors entre en jeu l’envie, le désir dévoyé, avili.

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Antigone, insoumise et intime (6/7. La vocation)

 

Que d’histoires au sujet de l’identité ! Le mot n’apparait ni dans l’épopée grecque ni dans la tragédie. L’identité à l’époque d’Antigone s’adosse à la lignée et à l’appartenance à une cité. L’identité s’imprégnait de l’enracinement. La famille et la cité rassemblaient sous un étendard virtuel l’intégralité de ce que l’autre devait savoir de soi lors d’une première rencontre. Pendant l’antiquité, personne ne clamait son identité ni ne la promulguait, et nul ne décidait de son identité. Il ne s’agissait pas de mettre un costume. Les hommes relevaient de leur identité. L’identité s’apparentait à une charge, on se devait d’en être digne. Elle statuait l’être et le devenir. L’époque moderne en a fait un enjeu, car elle a transformé l’identité en avoir, une sorte d’acquis dont on peut s’affubler ou se départir. Dans son fantasme moderne de croire que l’on peut tout choisir tout le temps, l’époque moderne a remplacé avec une méthode implacable l’être par l’avoir. Pourtant cette logique, cette idéologie a ses limites : certaines choses ne se peuvent acquérir, parmi elles : l’altérité. Vivre son identité, être ce que l’on est, habiter son nom, permettre l’intimité et donc la connaissance et l’approfondissement de son être, voilà les conditions sine qua non d’une rencontre avec l’autre. La première différence entre Créon et Antigone se situe à cet endroit précis, le terrain sur lequel se bâtit le combat, Antigone préserve ancré en elle ce don des anciens, des dieux, cet enracinement qui définit l’autorité à laquelle elle s’adosse pour tenir tête à cet homme, son parent, le roi, qui épouse la volonté de puissance et se trouve aveuglé par elle jusqu’à ne plus entendre que sa propre voix, son écho. Lire la suite de “Antigone, insoumise et intime (6/7. La vocation)”

À l’aune des valeurs

L’autorité a perdu ses lettres de noblesse en même temps que l’humilité. L’autorité est devenue un synonyme d’ordre implacable, de force irréfléchie, de tyrannie. Quelle inversion des valeurs ! Alors que l’autorité selon Antigone empêchait la tyrannie ! L’époque moderne a cette impression de l’autorité parce que celle-ci a été foulée aux pieds par des hommes qui s’en sont servi ; alors qu’on sert l’autorité. Mais l’autorité a-t-elle été abimée par ces expériences désastreuses ? Une valeur ne peut pas être abimée par un homme. La fidélité se déploie au-dessus de Saint Pierre sans qu’il en soit capable. La fidélité se déploie au-dessus de la trahison car elle l’englobe. La fidélité s’affirme dans la trahison. La trahison ne porte en elle aucun sens sinon sa propre satisfaction. Toute valeur dit aussi l’indécision et l’incertitude au sein de l’homme. Toute valeur est un tuteur et un abri. Nul besoin de choisir, la valeur s’adapte à notre faiblesse puisqu’elle précède nos incertitudes. Le monde moderne confond l’autorité et le pouvoir en leur faisant porter les mêmes plaies et les mêmes peines. Il fallait ôter Dieu de tout. Ni les antiques ni les contemporains ne comprendraient, mais cela importait peu, ils comptaient pour rien à présent. Si jamais Dieu ne partait pas, il faudrait le tuer. Le XXe siècle s’est voulu le temps de la mort de Dieu. Il n’aura tué que la mort de son idée. Il aura surtout créé une nouvelle anthropologie reposant sur le suicide.